Le dilemme belge de Fisico

Bien avant le SAV de la F1, j’avais le plaisir de contribuer au site d’Enzo sous le pseudonyme de Dino. J’y officiais en tant qu’auteur de petites saynètes humoristiques et j’y revisitais l’actualité avec le « Dinoscope ». C’est ainsi qu’Enzo m’invita à participer à la rédaction de son livre rétrospectif de la saison 2007, où, à ses dessins plein d’humour, s’ajoutaient mes textes sur les coulisses insolites des Grands Prix. Entre temps, nos projets personnels ne nous ont pas laissé le temps de renouveler l’expérience (malheureusement) pour les saisons 2008 et 2009, mais il m’arrive encore d’avoir des idées et de les mettre par écrit. Je vous propose de découvrir un de ces textes, sur les coulisses du Grand Prix de Belgique 2009.

J’en profite également pour vous signaler que vous pouvez retrouvez plus d’une dizaine de textes de ce genre dans le Livre 2007 et vous encourager à découvrir également le livre 2006 d’Enzo.

          

Dimanche 30 août 2009, Giancarlo Fisichella s’élance en pole position d’un Grand Prix de Belgique qui allait s’annoncer comme l’un des plus serrés de la saison. Rapidement dépassé par Kimi Räikkönen, auteur d’un départ tonitruant, l’Italien a semblé plus fort que le Finlandais sur la course, sans pour autant être en mesure de reprendre l’avantage. En réalité, le Romain était en proie à un tiraillement intérieur… quoique pas si intérieur que ça.

Spa-Francorchamps (Belgique),
Peu de temps après que Kimi Räikkönen se soit emparé de la 1ère place.

– Fisico ! Reste au contact ! grésilla la radio de l’Italien.
– Ouais, rappelle-toi le Japon en 2005 ! dit une autre voix.
– Si tu veux que je reste au contact, me rappelle pas de mauvais souvenirs.
– Pardon Fisico, on n’a pas entendu, ça a coupé !
– Je disais que si vous vous foutiez de ma gueule, j’allais anticiper mon ravito et vous coller la lollipop là où j’pense !
– Quoi ?! Mais on a rien dit ici ! répondit, étonné, l’ingénieur dans la radio.
– N’empêche, une humiliation comme celle-là, ça marque un homme.
– Bon, vous avez gagné, je m’arrête ! pesta le pilote dans son casque.
– Mais de quoi tu parles, Fisico, on ne dit rien depuis tout à l’heure, se défendit l’ingénieur.
– Eh, Fisico, regarde dans ton rétro ! lança l’autre voix.

Comme dans un réflexe, le Romain jeta un regard furtif dans son rétro, sans rien noter de notable, jusqu’à ce qu’il revienne sur le rétro, le regard attiré par quelque chose, accroché sur le dessus de son ponton gauche : un petit diablotin, se tenait là, les traits de son visage tirés vers l’arrière sous l’effet du flux d’air qui équivalait à des bourrasques pour un être d’une si petite taille.

– Bon, alors, on la joue comment cette fois ? On se cagade en perdant une seconde au tour, pour finir anonymement, ou on mord un peu trop sur le vibreur et on se gaufre contre le mur ? C’est toi le patron ! lança le diablotin.
– Pardon ? s’enquit Fisico.
– Bah, t’es parti en pole et là tu colles au train de Kimi, c’est trop beau pour toi : tu vas forcément foirer quelque part.
– Je ne vais pas me louper cette fois, et mieux, je vais même gagner.
– Très bien, bon état d’esprit mon garçon, entendit-il, cette fois d’une voix plus douce, sur sa droite.

Instinctivement, l’Italien regarda dans son rétroviseur, mais n’aperçut rien de suspect, jusqu’à ce qu’il ramène doucement son regard sur le rétroviseur, et vit flotter juste au dessus de l’appendice aérodynamique, un petit angelot !

– C’est bien Fisico ! Tu peux gagner ! le conforta l’angelot.
– T’es à 8 dixièmes, Fisi ! Parfait ! T’es en feu ! lança la voix de son ingénieur dans sa radio.
– Bon, alors, personnellement, si tu te gaufres, j’aurais une petite préférence pour les Fagnes. Parce que tu vois, j’étais aux Combes y a quelques tours, ricana le diablotin.
– N’attaque pas trop, mon petit, tu vas l’avoir en lui mettant la pression comme ça. Crois-moi, depuis quelques temps, ils sont nuls aux stands chez Ferrari, l’encouragea l’angelot.
– Bon, écoutez tous les deux, j’ai une course à gagner là, si vous pouviez me foutre la paix, ça serait cool… D’ailleurs, je me demande pourquoi je vous parle.
– Tous les deux ? s’étonnèrent en chœur le diablotin et l’angelot.
– Y a quelqu’un d’autre, s’enquit le diablotin.
– Ah, non, pas encore lui, se lamenta l’angelot. Ne l’écoute pas Fisico, il m’a déjà bien pourri la tâche avec Grosjean tout à l’heure.
– Tout ça pour envoyer Lewis dehors… Qu’est-ce que ça t’a rapporté ?
– Rien ! Enfin, oui, un certain réconfort personnel.
– Fichez-moi la paix ! J’ai une course à gagner !
– Gagner ! pouffa le diablotin ! Avec son KERS, tu l’as dans l’os mon vieux !
– Ne l’écoute pas Fisico, tu peux gagner, il faut y croire. Et, tu verras, demain, Maranello t’appellera.
– Maranello ? Un baquet maudit contre une victoire, tu y perds au change, crois-moi ! rétorqua le diablotin. Gagne mon grand, tu peux le faire !
– Non, mais, on parle quand même de la Scuderia Ferrari, à Monza… Chez toi mon vieux !
– Bon, c’est vrai que tout Italien rêve d’être sur une Ferrari à Monza, concéda le diablotin, mais…
– Ah, bah tu vois, il me donne raison ! s’enthousiasma l’angelot.
– J’ai dit « mais » ! Mais, la F60, franchement…
– C’est vrai qu’il suffit de voir comment Luca s’en sort, approuva l’angelot.
– Non ! On ne va pas se mettre à taper sur Luca.
– Super Fisico ! Tu es revenu à six dixièmes ! Keep Going Baby ! l’encouragea son ingénieur dans sa radio.
– Argh, mais il est fatiguant celui-là, râla le diablotin.
– Ecoute, Fisico, je vais être honnête, t’es sur la fin… Tu as le choix entre remporter une victoire historique et devenir le héros de toute une équipe, ou une hypothétique fin de saison chez Ferrari. Et crois-moi, tu ne vas pas t’amuser avec la F60.
– Mais vous avez fini de vouloir remplacer Luca, là ! Lâchez-lui la grappe, à ce pauvre Badoer, s’emporta une nouvelle fois le diablotin.
– Si vous pouviez me lâchez la mienne, au passage, ça m’arrangerait ! pensa le pilote.
– Aïe ! Aïe, mais arrêtez, vous me faites mal… Désolé, Fisico, je dois te laisser, s’époumona l’angelot.

Dilemne Fisico by Enzo

À quelques mètres de la piste, au fond du stand Ferrari, la sécurité de la Scuderia se débat avec un homme, avant d’être interrompue par Stefano Domenicali.

– Ce n’est pas fini ce bazar ?! On vous entend depuis le muret !
– Désolé, Monsieur ! On vient juste de découvrir cet individu, déguisé, en train de trafiquer une radio.
– Ce n’est pas un déguisement, bande d’idiots, pesta l’homme au visage couvert de bandes.
– Felipe ?! s’étonna Domenicali. Mais qu’est-ce que tu fais là ?
– Moi ? Rien !
– Tu devrais être chez toi, en train de te reposer. Et puis, c’est quoi cette radio, elle ne nous appartient même pas ! Elle vient de Force India.
– Bon d’accord, j’avoue, j’encourageais Fisichella à dépasser Kimi.
– Quoi ?!
– Mais oui, je n’ai pas envie que Kimi il gagne et vous sauve votre saison. C’est moi qui aurait dû la sauver, j’étais meilleur que lui !
– Peut-être, mais toi, tu seras là en 2010 !
(grésillements) Allô, Monsieur Domenicali ? Je viens de trouver un type de chez nous avec une radio Force India, près des Combes !
– Quoi ?! Encore un ?
– Pourquoi, y en a d’autres ? s’enquit l’ingénieur, dans le talkie-walkie.
– Ramenez-le-moi ! Et en quatrième vitesse ! ordonna Domenicali avant de jeter un regard inquisiteur à Felipe Massa.
– Eh, me regardez pas comme ça, je pensais être seul.

Quelques instants plus tard, alors que l’ingénieur Ferrari au Talkie-Walkie, revint, seul.

– Bon, alors, il est où, ce type ?
– Il arrive, je l’ai envoyé chez Force India, rendre le matériel !
– On le connaît ? s’enquit Domenicali.
– Non, jamais vu, répondit l’ingénieur Ferrari avant de voir passer l’homme de retour de chez Force India, la mine basse.
– Luca ! s’étonnèrent Domenicali et Massa à l’unisson. Mais comment vous n’avez pas pu le reconnaître, espèce d’incompétent ? C’est notre second pilote !
– Bah, pour ce qu’on le voit ! Je ne savais même pas qu’il avait abandonné d’ailleurs.
– Mais il n’a pas abandonné, il était encore signalé en piste, y a pas 30 secondes.
– Bah, si Luca est là, et que moi je suis là aussi, qui est dans ma voiture ? demanda Felipe Massa.
– Euh… mon neveu, répondit Badoer, quelque peu gêné. Mais, bon, je me suis dit que de toute façon, vous ne verriez pas la différence.
– Attends, tu veux dire qu’on se paie la honte depuis deux semaines pour t’offrir la chance d’être au volant d’une de nos voitures, et toi, tu refiles la place à ton neveu pour aller soutenir Fisichella, caché dans des buissons ?
– Mais, je ne le soutenais pas, au contraire ! Je voulais qu’il foire sa chance, comme d’habitude ! Parce que comme on dit que vous songez à lui pour me remplacer, je me suis dit que si déjà il vous intéressait en fond de grille, après avoir gagné le Grand Prix, je n’aurais plus aucune chance.
– Euh, excusez-moi, ça ne vous dérangerait pas de ma laisser un peu tranquille ? lança Fisichella en sortant de derrière un paravent.
– Fisico ! s’étonnèrent en chœur Massa et Badoer. Mais, qu’est-ce que tu fous là…
– Je me suis fait remplacer pour la course, afin de mouler mon baquet et d’essayer ma combinaison : ça me va bien le rouge, hein ?
– Mais, attends, qui est dans ta voiture alors ?

À quelques mètres de là, le pilote de la Force India négocie la dernière chicane, en pensant, avec un sourire de satisfaction :

– Bon, bah, il me fait plus aussi mal que ça mon cou… Tiens, d’ailleurs, pas mal le moteur Mercedes !

À découvrir également sur enzof1.com.

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