La F1 se meurt, l’enterrement est prévu le 29 novembre 2015

Le Grand Prix d’Abu Dhabi a désigné son pilote champion du monde 2014. La silly season débute, comme les soldes, avec des promos gigantesques. « Une F1 offerte pour deux achetées ! » Ou bien, « Grande opération déstockage de vieux pilotes ! » Est-ce inquiétant ou habituel ? L’âge de la retraite arrive-t-il pour ce sport qui entrera dans sa 65ème année ?

Si aujourd’hui je continue de regarder la F1, ce n’est ni parce que je suis vieux ou riche, mais parce que j’y vois un spectacle qui me plaît encore. Au SAV de la F1, nous notons les Grands Prix comme des critiques de cinéma qui, pour juger de la qualité d’un film, doivent en avoir vu beaucoup. De toute sortes, et de toutes qualités. Comme mes petits camarades du « Casque et de l’Enclume », j’ai des références. Elles me permettent de comparer et d’apprécier – ou pas – ce que je vois à la télévision. Pourtant je garde à l’esprit qu’il y a vingt ans, la F1 était populaire. Tout le monde regardait ce spectacle plein de tensions et de suspense. Aujourd’hui, la F1 ne fait pas recette. On préfère parler de Nabilla.

Il est vrai qu’en cette fin 2014, le contexte n’est pas fameux. Deux équipes sont en faillite. D’autres, comme McLaren, Williams, ou Sauber ne parviennent pas à trouver des sponsors majeurs. Mercedes a dominé comme jamais le championnat, parce qu’elle a réussi à produire un moteur puissant, dont l’exploitation électrique est durable, avec une consommation mesurée et des besoins de refroidissement d’un poids raisonnable. Il est impossible de ne pas penser à l’hégémonie Ferrari des années 2000. Vous croyez mon titre provocateur et pourtant il ne me semble pas irréaliste. Un nouvel exode massif de spectateurs serait catastrophique et sonnerait le glas de la F1 que nous connaissons. Les présages sont nombreux, et inquiétants.

La F1 meurt faute de combattants

Le premier d’entre eux, est qu’une compétition sportive, pour qu’elle soit suivie et passionnelle, a besoin d’une forte adversité. En 2014, Mercedes aurait pu plier le championnat et le suspense bien avant Abu Dhabi. Elle a pourtant donné le change, en permettant le combat entre coéquipiers. Il est probable qu’en 2015, la voiture soit encore très compétitive avec un règlement stable. Je sais déjà qu’en Australie, si Mercedes a une seconde d’avance sur le meilleur des autres, les suiveurs que nous sommes diront que le circuit de l’Albert Park est atypique, qu’il faudra attendre la Malaisie pour vraiment voir. Et même à Sepang, si Rosberg et Hamilton sont toujours en avance, on dira qu’il faudra attendre Barcelone. La vérité est celle-ci. Mercedes est en avance. C’est aux autres de les rattraper. Mais le peuvent-ils ?

Prenons le cas de Red Bull. Un très bon châssis, une très bonne équipe qui a su saisir trois fines opportunités de victoire en 2014. Le moteur Renault, quatre fois champion du monde en titre, a toujours eu un déficit de puissance. Et malgré les victoires, il a coulé en 2014. Beaucoup trop loin en exploitation, en puissance ou en fiabilité (notamment en début de saison). 2015 devra être différent. Sauf que le FIA et les équipes ont défini le règlement de telle manière que seul 48% du moteur pourra être modifié. Renault va probablement revoir l’architecture de son moteur, s’il veut revenir dans la course. Dans le même temps Mercedes a toute la marge disponible pour gagner en performance, exploitation, et un peu en fiabilité. Le moteur au losange sera au dos de deux équipes, les deux dernières. Si Caterham réussit à se présenter en 2015, elle le sera avec un moteur 2014. Red Bull sera forcement attentive à ses performances mais aussi à celles du V6 Honda. La pression est sur Renault, comme une dernière chance avant d’être répudié par Helmut Marko. Le déficit d’image serait alors terrible et contraindrait Carlos Ghosn à stopper les frais, n’ayant plus d’équipe à fournir.

Ferrari est une équipe à part. Avec le meilleur pilote de course du plateau et des moyens considérables, elle aurait dû rafler 2 ou 3 titres pendant l’ère Alonso. En 2014, Maranello avait produit sa F1 la plus radicale depuis longtemps, tant côté moteur que sur l’aéro. Pourtant la confiance a disparu pour laisser place au doute. Celui sur la soufflerie, celui sur la direction moteur, celui sur le Team Principal, celui sur le Président, celui sur le pilote vedette, et dernièrement sur le directeur de l’aéro. Il n’y a bien que sur la couleur que tout le monde soit encore d’accord (mais pour combien de temps ?). Ferrari est-elle capable de porter un nouvel espoir ? Tony Curtis est parti en laissant place nette. Certes le line-up est flatteur, mais Ferrari a besoin de changer sa manière de penser avant tout. Pour 2015, j’annonce, et je ne suis pas le seul, ne pas compter sur eux.

En 2015, Honda revient en tant que motoriste exclusif chez McLaren, une équipe qu’on veut voir aux avant-postes. Honda, qu’on espère comme le messie, sera-t-il à la hauteur ? Sur le papier cette association renvoie aux belles heures de la F1. L’espoir est grand mais personne ne peut dire s’ils réussiront dès la première année. La seule option qui conviendrait à tous, serait d’être au moins au niveau du moteur Mercedes, et pourquoi pas plus. À la lumière des essais récents, où ils n’ont pu rouler que quelques tours, la vérité de la piste n’est que rarement conforme aux boniments des communicants.

La F1 a besoin de la compétition pour rester vivante. Je l’espère sans vraiment y croire. Je m’attends encore à une énorme avance de l’équipe à l’étoile. Les dominations du moteur et du châssis Mercedes ne disparaîtront pas pendant l’intersaison. Et au soir du dernier Grand Prix 2015, après le deuxième titre de Mercedes, que se passera-t-il ? Les négociations complètement ratées de fin 2014 seront de nouveau sur la table. Mercedes comme en 2014 ne comprendra pas qu’on veuille encore changer les règles pour 2016. Faut-il attendre 2021 pour que la F1 réagisse ? La F1 est-elle devenue le sport le plus lent au monde ?

Les petits sont accusés à la place des gros

Caterham et Marussia sont arrivées en F1 avec la promesse (ou le mensonge) de la réduction des coûts. Si politiquement Max Mosley prouvait que des petites équipes pouvaient intégrer l’élite, le fait est qu’elles ont dépassé leurs moyens. Et même si elles avaient été gérées par un bon père de famille, elles ne se seraient pas qualifiées dans les 107%. La F1 est impitoyable, elle ne s’embarrasse pas de ce qui n’est pas utile. Au contraire, dans le contexte de crise économique et la difficulté de trouver des sponsors, ces écuries ont probablement aussi été vues comme des concurrentes. Pourtant il y a encore peu d’années, ces mêmes équipes étaient privilégiées pour parfaire le polissage de futurs pilotes prometteurs. Alonso, Webber, Vettel, Räikkönen, Massa ont cassé du carbone chez Sauber, Minardi ou Toro Rosso. Sans vouloir faire offense à Marcus, Max ou Giedo, la location de leur baquet semble être de plus en plus élevée. Je me souviens que jusqu’au début des années 80, les petites équipes parvenaient encore à marquer les points des 6 premières places. BRM, Vanwall, Tyrrell, Matra étaient des garagistes. Elles sont pourtant devenues championnes du monde.

La F1 meurt, car au matin du premier Grand Prix de chaque saison, les équipes ne sont pas sur un même pied d’égalité. Qu’il soit technique, humain ou financier. Éthiquement c’est discutable, et économiquement intenable. La F1, pour rester le pinacle du sport automobile, doit revenir à une équité. Mercedes a très bien travaillé, comme Ferrari, Williams, McLaren à d’autres époques. Les budgets élevés ne sont pas toujours liés à la performance. Souvenons nous de Toyota, l’argent n’est pas toujours un facteur gagnant. A l’inverse par contre, les équipes aux budgets faméliques, sont toujours cantonnées au fond du classement.  En recrutant le meilleur line-up et les meilleurs ingénieurs, intelligemment et méthodiquement, les hommes de Stuttgart ont acheté leur succès.

En laissant faire la démocratie de Bernie, les tops teams, celles-là même qu’on regretterait, ne s’entendront jamais. 2015, c’est demain, et nous courrons vers un scénario catastrophe et suicidaire. Le cartel, puisqu’il paraît qu’il se nomme ainsi, doit être attentif aux conséquences des décisions qu’il va prendre aujourd’hui. Il ne faut surtout pas se tromper, car perdre des équipes, perdre des téléspectateurs, perdre de l’argent, c’est d’abord perdre. Dans un sport où la culture de la gagne permet de s’affranchir des autres, il est meurtrier de scier la branche sur laquelle certains sont assis, quand d’autres sont déjà prêts à tomber.

L’argent est le mobile, l’arme et la solution

J’entends d’ici les sceptiques m’indiquer, à juste titre, que les accords Concorde régissant les revenus des équipes par la FOM, ont été signés par toutes les équipes. C’est vrai. Sauf qu’il est impossible de signer avec une autre organisation pour participer au championnat du monde de F1. La FOM a le monopole de la commercialisation de la F1 jusqu’en 2110. Elle décide des règles et des revenus que les équipes perçoivent. Bernie a besoin pour sa F1 de signer Ferrari, McLaren, Red Bull, Williams, etc. Mais les autres… Sans participer aux négociations, il est facile d’imaginer que le poids et l’influence de Marussia, Caterham, Sauber, Lotus, Force India sont négligeables. Pourtant leurs activités sont totalement liées à la F1, elles n’ont aucun autre produit à vendre comme Mercedes, McLaren, Red Bull ou Ferrari. Sans signature des accords Concorde, ils renonceraient aux revenus provenant de la FOM. Autant mettre la clé sous la porte. En paraphant et acceptant les conditions favorables aux meilleurs, ils reculent l’échéance.

La F1 doit rester un fantasme, un show. Avant d’être motorisée par Mercedes, Williams n’était nulle part. Si elle était restée avec Renault en 2014, l’histoire n’aurait pas été la même. Et pour 2015, le souvenir de son illustre passé n’a jamais été aussi proche. Red Bull a mis 5 ans pour devenir championne du monde. Pourtant il n’aura fallu qu’une année pour être défaite. La solution est devant nos yeux. Les petites équipes doivent avoir l’espoir de grandir et les grandes doivent vraiment craindre de fléchir. Depuis des années la FIA tente de réduire les coûts dans ses règlements techniques. Le résultat n’est pas fameux. Les trois équipes arrivées en 2010, grâce aux « efforts » de Max Mosley, sont toutes en  faillite. L’argent a précipité leur chute alors qu’il aurait pu tout autant les sauver. Les revenus FOM doivent, non pas servir les plus forts comme c’est le cas aujourd’hui, mais soulager un tant soit peu les plus faibles. La F1 doit-elle pour autant devenir communiste ? Difficile de l’imaginer, cependant la solution la plus simple a déjà été présentée et refusée par les puissants. Désormais il est plus que temps de reparler des budgets capés. Commençons par chiffrer, contrôler et rendre publique les coûts de chacune des équipes. Comment ? En imposant réglementairement dans chacune des directions financières, un agent assermenté par la FIA qui superviserait les entrées/sorties des flux financiers. Aujourd’hui les équipes les plus puissantes sont celles qui décident de l’avenir de la F1, et peu importe qu’ils décrètent de la non-rentabilité des plus fragiles. La FIA a bien imposé un limiteur de débit d’essence à 100kg/h, je ne vois pas en quoi un limiteur de budget ne serait pas possible. Quelle équipe pouvons nous encore perdre ? Sauber, Lotus, Force India, Williams ? Personne ne le comprendrait. Le contexte plaide pour une décision difficile pour certains, et cruciale pour la plupart. La FIA peut reprendre la main. C’est juste de la politique, et c’est maintenant.

Le tableau vous semble sans doute bien sombre. Il est vrai que depuis la réunion du 18 décembre dernier, une lumière lointaine, semble poindre. En effet le règlement sportif 2015 (appendix 4, article 1, alinéa b), laisse trainer un flou certain sur le gel total du développement des moteurs en 2015. Un oubli ou une véritable volonté de la FIA, peu importe, les motoristes pourront travailler plus que prévu pour se rapprocher de Mercedes. Les questions d’argent reviendront probablement sur le tapis, même pour les plus argentés. Il sera encore plus nécessaire de rendre les règles justes et équilibrées pour chacune des équipes. Les budgets capés ne sont qu’une idée pour construire l’avenir. Sans changement, la F1 sera morte le 29 novembre 2015, au soir du dernier Grand Prix. Et à l’enterrement, dans le sable d’Abu Dhabi, Bernie creusera sûrement seul. Sans télévision, sans spectateur. Il sera trop tard pour déchirer les accords Concorde. Viendra alors le temps des regrets.

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