Retour à Zandvoort (4/5) – Prost et Renault, divorce à la française en 1983

Le dimanche 3 mai 2020 aurait dû marquer le retour, après 35 ans d’absence, d’un monument de la F1 : Zandvoort. Du haut des dunes de la mer du nord, 30 ans d’histoire de la F1 nous contemple. Cette fois-ci, retour sur l’épreuve – à plus d’un titre – de 1983

En arrivant à Zandvoort, 12e des 15 manches du championnat, Alain Prost a tout pour être heureux. Deux semaines plus tôt, en Autriche, il a remporté son quatrième grand prix de la saison et accru son avance au classement général. A quatre manches de l’issue du championnat, le pilote Renault compte désormais 14 points d’avance sur Nelson Piquet (Brabham-BMW), et 17 sur René Arnoux (Ferrari). A Zandvoort, il peut frapper un grand coup et faire un pas quasiment décisif vers le titre de champion du monde.

L’idole des jaunes !

Consciente du déficit de popularité de son pilote, notamment dans l’hexagone où on lui préfère volontiers René Arnoux, la Régie Renault a même mis les petits plats dans les grands avec une campagne commerciale sur le thème « Allez Alain ! Une entreprise derrière son pilote ! » qui, en cette fin d’été 1983, s’affiche sur tous les panneaux publicitaires de France.

Pourtant, sur les bords de la Mer du Nord, c’est un Prost de fort mauvaise humeur qui apparaît aux yeux du public et des médias. La campagne de pub ? Elle l’agace, il la juge prématurée. Son avance au championnat ? Un trompe l’œil qui selon lui ne reflète pas les rapports de force à venir.

Prost dispute déjà sa troisième saison chez Renault. Il connaît la force de frappe de l’écurie française. Il connaît aussi son gros défaut. Renault est une entreprise d’État, avec tout ce que cela implique d’inertie, de lourdeur hiérarchique et de contraintes politiques. L’année précédente, Renault avait conçu la monoplace la plus performante du plateau, mais une série de casses moteurs avait coûté le titre au clan français. Des casses le plus souvent imputables à une petite pièce valant à peine quelques francs (que Prost surnommera la « Pièce Darty »), et que pour d’obscures raisons politico-administratives, il n’était visiblement pas possible de faire concevoir par un autre sous-traitant.

Rebelote en 1983 ? C’est ce que craint Prost. Pendant que son écurie se regarde fièrement le nombril, il observe du coin de l’œil la montée en puissance (au sens propre) des Brabham-BMW. L’écurie anglo-allemande, dirigée par l’omnipotent Bernie Ecclestone, a effectué un première moitié de saison en dents de scie, mais n’a de cesse, depuis le début de l’été, de faire évoluer sa monoplace, la magnifique BT52 en forme de flèche.

La manœuvre AAAAÏOÏOÏOOOO

Dès les qualifications, les craintes de Prost se concrétisent : Piquet et Brabham décrochent leur première pole de l’année, tandis qu’il est relégué en deuxième ligne. La Brabham du Brésilien impressionne par sa vitesse en ligne droite. Très clairement, le moteur BMW a déniché plusieurs chevaux supplémentaires, ce qui ne manque d’ailleurs pas d’entretenir une certaine suspicion autour de l’essence utilisée.

Le dimanche, Prost se hisse rapidement en deuxième position, mais ne parvient pas à suivre le rythme de Piquet. Tour après tour, le Carioca, confirmant sa domination des qualifications, creuse l’écart, jusqu’à compter 7 secondes d’avance. Mais à partir du 20e tour, la tendance change. L’écart stagne, puis, progressivement, la Renault se rapproche de la Brabham. Prost, qui a mieux géré ses gommes, est désormais l’homme le plus rapide en piste. Au 37e tour, il opère la jonction. La mi-course vient d’être franchie, les leaders ne vont pas tarder à s’arrêter aux stands pour ravitailler en essence et chausser des gommes neuves. Prost doit donc absolument profiter de sa supériorité du moment pour prendre le dessus sur Piquet, car une fois qu’il aura changé de pneus, le pilote Brabham retrouvera certainement son aisance du début de course. Au 41e tour, Prost tente un dépassement à Tarzan, le premier virage du circuit, sans succès. Il recommence au tour suivant. Après avoir pris l’aspiration dans la ligne droite des stands, il déboîte à l’intérieur, et plonge dans Tarzan. La manœuvre semble parfaitement exécutée, mais une fois à la hauteur de son adversaire, il perd légèrement le contrôle de sa Renault et vient heurter la Brabham, l’expédiant hors-piste, dans le mur de pneus. Prost n’ira pas beaucoup plus loin, suspension cassée.

A l’issue de la course, Piquet, bien que déçu, commente l’accrochage avec philosophie et ne cherche pas à accabler Prost, avec qui il entretient par ailleurs des rapports amicaux. Une attitude qui tranche radicalement avec celle de Prost, complètement effondré suite à son erreur. D’un strict point de vue arithmétique, ce double abandon est en effet une mauvaise opération pour le Français. Il relance dans la course au titre son ennemi juré René Arnoux. Le pilote Ferrari, vainqueur du jour, revient à seulement 8 points. Il perd également une occasion de faire un break décisif sur Piquet. Or, Prost pressent que la Brabham sera redoutable en fin de saison.

Prost au piquet

En interne, l’erreur de Prost passe également très mal. Une entreprise derrière son pilote dit la pub ? En réalité, il existe une forte défiance réciproque entre Prost et son employeur. Les ratés et les malentendus de la saison 1982 (l’erreur de Prost à Monaco, les casses moteurs à répétition, le non-respect de la consigne d’équipe donnée à Arnoux au Castellet et la façon mollassonne dont Renault a défendu Prost face à une opinion public pro-Arnoux) rejaillissent comme autant de blessures mal cicatrisées. S’y ajoutent les pourparlers que Prost, en fin de contrat, mène assez peu discrètement avec la Scuderia Ferrari, et qui exaspèrent Renault.

La relation Prost-Renault ne tenait qu’à un fil depuis plus d’un an. A Zandvoort, ce fil s’est cassé.

A Monza, comme Prost le pressentait, Nelson Piquet est intouchable, et s’impose devant René Arnoux. Pendant ce temps, il subit un deuxième abandon consécutif, cette fois sur casse moteur. Le championnat est totalement relancé : Arnoux et Piquet pointent désormais respectivement à 2 et 5 unités de Prost. Quelques jours plus tard, Prost paraphe un nouveau contrat avec Renault, mais cela ressemble moins à une réconciliation qu’à une manière un peu forcée pour les ex-amoureux de sauver les apparences en vue du sprint final.

A Brands-Hatch, avant-dernière manche du championnat, Piquet remporte une nouvelle victoire. Prost, deuxième, sauve encore pour deux petits points son leadership au championnat.. Maigre consolation pour le pilote Renault : Arnoux a terminé hors des points et se retrouve relégué à 8 longueurs.

Vient alors l’ultime manche de la saison à Kyalami. Prost mène aux points mais tout le monde, y compris le Français, considère Piquet comme le favori logique tant la dynamique du championnat a changé depuis Zandvoort. Le scénario de la course leur donne raison : Prost, largement dominé par les Brabham, abandonne sur casse moteur à mi-course. Piquet, facile leader, peut offrir la victoire à son coéquipier Riccardo Patrese et se laisser glisser jusqu’à la troisième place pour assurer le titre mondial.

Deux jours plus tard, Prost et tout l’état-major de Renault se retrouvent au siège de la marque à Boulogne-Billancourt. La réunion, destinée à faire le bilan de la saison écoulée, vire rapidement au règlement de comptes, et Prost, désigné contre toute logique comme le responsable de l’échec, est purement et simplement licencié.

Un coup de massue pour le Français ? Pas vraiment. Du côté de chez McLaren, Ron Dennis traîne les pieds depuis des semaines pour prolonger le contrat de John Watson. Dès qu’il apprend que Prost est sur le marché, il saute sur son téléphone. Avec McLaren, celui qu’on ne tardera pas à appeler « Le Professeur », remportera 3 de ses 4 titres de champions du monde. Quant à l’écurie Renault, elle quittera piteusement la F1 deux ans plus tard, avec des résultats catastrophiques et sur fond de scandale financier.

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