Retour à Zandvoort (5/5) – La dernière victoire de Lauda

Le dimanche 3 mai 2020 aurait dû marquer le retour, après 35 ans d’absence, d’un monument de la F1 : Zandvoort. Du haut des dunes de la mer du nord, 30 ans d’histoire de la F1 nous contemple. Et pour finir, retour sur la dernière édition en date, marquée par la dernière mise à jour de l’Ordinateur.

L’atmosphère est particulière à Zandvoort en cette fin du mois d’août 1985. Une semaine plus tôt, à Zeltweg, Niki Lauda a annoncé qu’il prendrait sa retraite à l’issue de la saison en cours. Dans le paddock du Grand Prix des Pays-Bas, c’est encore un des principaux sujets de discussion.

Son retrait, même s’il ne surprend pas grand monde, va laisser un vide immense. A 36 ans, l’Autrichien n’est plus le meilleur pilote du monde, mais il reste la plus grande star de la Formule 1. Par son palmarès bien sur, puisqu’il compte trois titres de champion du monde, mais aussi par sa personnalité, son charisme, et son parcours hors du commun. Niki Lauda, pour l’éternité, aux yeux du public, restera le miraculé du Nurburgring, 9 ans plus tôt. Un accident dont il porte à jamais les stigmates.

En cette fin d’année 1985, c’est un mal plus insidieux que les flammes qui le ronge : l’usure du temps. Il a beau être champion du monde en titre, il a de plus en plus de difficultés à suivre le rythme de la nouvelle génération, emmenée par son coéquipier Alain Prost. Il vit également mal la progression affolante des performances des voitures. A Monaco, où en qualifications les monoplaces sortaient du tunnel à près de 300 km/h, il a commencé à prendre conscience que cette F1 n’était plus la sienne.

Dennis/Lauda : l’âge de glace

Chez McLaren, pour qui il pilote depuis son come-back en 1982, l’ambiance est un peu étrange. Avec Prost, qui le pousse gentiment vers la sortie, Niki Lauda entretient d’excellentes relations. Les deux hommes se respectent, sont même amis, et l’Autrichien accepte parfaitement le passage de témoin qui est en train de s’opérer.

« J’ai pris ma retraite parce que Prost était clairement la future génération. J’étais déjà champion du monde lorsqu’il a eu sa première licence. J’ai réalisé que la nouvelle génération frappait à la porte, poussait pour faire sa place et je n’ai gagné en 1984 que grâce à l’expérience. J’en avais plus que lui, donc j’avais plus de vitesse en course. L’année suivante, c’était l’inverse. […] Mon heure était arrivée : il y avait un autre gars plus rapide que mois dans la voiture, il était donc temps de partir. »

Niki Lauda

Par contre, avec Ron Dennis, son patron, les relations sont détestables. En réalité, le mariage McLaren/Lauda n’a jamais été un mariage d’amour, mais de raison. Quand après 2 ans de retraite, Niki a fait son retour dans le paddock en quête d’un volant, il n’était pas motivé uniquement par le plaisir du pilotage, mais aussi par le besoin de renflouer financièrement sa compagnie aérienne Lauda Air. Si son choix s’est porté sur McLaren, ce n’est pas pour le projet sportif, mais pour le gros salaire que Ron Dennis et ses partenaires étaient en mesure de lui apporter. Inversement, Ron Dennis n’a jamais eu de coup de foudre pour l’Autrichien, mais a simplement vu en lui le pilote capable de remettre McLaren, alors au fond du trou, sur le devant de la scène.

Ce n’est pas la première fois que Niki Lauda entretient de mauvais rapports avec ses dirigeants. En 1977, au soir de son deuxième titre mondial, il avait quitté Ferrari en claquant la porte. Mais le contexte était très différent. Lauda aimait profondément la Scuderia et il s’était senti trahi par la façon dont Enzo Ferrari et ses sbires l’avaient jugé perdu pour la course, au point de le reléguer deuxième pilote derrière Reutemann. Rien à voir avec McLaren. Ici, pas d’amour déçu : Dennis et Lauda ne se sont jamais aimés.

Le peu de considération de Ron Dennis pour son pilote se révèle au milieu de la saison 1984. Alors que Niki Lauda est en tête du championnat du monde, les discussions pour sa prolongation de contrat patinent. Ron Dennis veut bien le conserver, mais à condition que l’Autrichien accepte de diviser son salaire par deux ! Dennis estime simplement qu’avec Prost, il a déniché un pilote plus jeune et plus rapide, et que le statut de Lauda doit donc être revu à la baisse. Inenvisageable pour Niki, qui entreprend alors de se rapprocher de Renault. Un accord de principe est trouvé avec la Régie. Problème : le montant exorbitant du salaire que Renault accepte de verser à l’Autrichien fuite dans la presse. Dans un contexte de casse sociale, les syndicats s’en offusquent, l’affaire devient politique et le transfert tombe à l’eau. Lauda, piégé, est finalement contraint de prolonger chez McLaren aux conditions voulues par Dennis.

The Comeback King

La saison 1985 de Niki Lauda est un calvaire. Dans une écurie qui s’articule désormais autour d’Alain Prost, l’Autrichien est à la peine. Non seulement il ne parvient pas à rivaliser avec le Français mais il est en plus victime d’une rare malchance. Sur les 10 première manches de la saison, il n’a vu le drapeau à damiers qu’à deux reprises : à Imola (4e) et au Nurburgring (5e).  En arrivant à Zandvoort, il comptabilise 8 abandons dont 7 sur casse mécanique. Le plus dur à encaisser ? Celui survenu une semaine plus tôt, chez lui, en Autriche, le lendemain de l’annonce de sa retraite, alors que pour une fois, il dominait Prost et semblait avoir course gagnée.

Si Lauda, usé et dépité, n’a plus vraiment la tête à la F1, son orgueil de champion n’a pas tout à fait disparu. Lui qui n’a plus goûté au champagne de la victoire depuis près d’un an, rêve de s’offrir un dernier succès. A Zandvoort ?

Sur les bords de la Mer du Nord, les choses commencent pourtant bien mal pour le triple champion du monde. Handicapé par des problèmes moteurs lors de la séance qualificative du vendredi, il ne signe que le 10e chrono. Il ne peut faire mieux le lendemain à cause de la pluie. Cela n’augure rien de bon pour Niki, qui doit par ailleurs répondre à de multiples questions sur les possibles consignes d’équipe. Le championnat rentre en effet dans sa dernière ligne droite et son coéquipier Alain Prost est au coude-à-coude avec le pilote Ferrari, Michele Alboreto. Dans ce contexte, difficile de l’imaginer pouvoir jouer sa carte personnelle.

Dès le départ, la chance semble enfin sourire à l’Autrichien. Nelson Piquet, le poleman, et Thierry Boutsen, en quatrième ligne, calent sur la grille et déclenchent une petite panique. Opportuniste, Lauda en profite pour gagner 4 places. Il déborde ensuite Surer et boucle le premier tour derrière Rosberg, Senna, Fabi et Prost.

Au 5e tour, tandis que Rosberg mène facilement les débats, Lauda déborde Fabi dans la ligne droite des stands. Rapidement, il se rapproche de Prost qui lui-même talonne Senna.

Au 11e tour, les deux McLaren dépassent successivement Senna. Puis, elles commencent à sonner la charge sur Rosberg.

Au 20e tour, le moteur Honda de la Williams de Rosberg explose. Prost prend la tête de la course. Et Lauda ? L’Autrichien, qui a trop tapé dans ses gommes lors de sa remontée du début de course, s’est arrêté aux stands, et a repris la piste en 8e position. Mais les arrêts des autres concurrents lui permettent de vite remonter au classement. Au 33e tour, Prost s’arrête pour changer de gommes. Son arrêt est cafouilleux et se prolonge, ce qui permet à Lauda d’émerger en tête du grand prix, peu avant la mi-course. Il compte alors 3 secondes d’avance sur Senna, et 14 sur Prost.

Homme le plus rapide en piste avec des pneus plus frais que ses concurrents, Prost double Senna au 48e tour, et entreprend de fondre sur Lauda. Il opère la jonction au 63e tour, à seulement 7 boucles de l’arrivée. Tout le monde guette une éventuelle consigne de course en faveur de Prost, mais elle ne viendra pas.

Il existe cependant une consigne, que le grand public ignore. Chez McLaren, la pression de suralimentation maximale à utiliser est convenue avant la course, et sauf circonstance particulière, les pilotes ne peuvent y déroger. Pourtant, alors que Prost, nettement plus rapide, cherche l’ouverture, il se fait « mystérieusement » larguer par Lauda dans les lignes droites. Rusé, l’Autrichien joue avec une molette de son cockpit, et s’octroie quelques chevaux supplémentaires pour résister aux attaques de son coéquipier. Prost en est conscient, mais il joue le championnat et ne peut pas se permettre de faire la même chose, au risque de casser son moteur TAG-Porsche. Jusqu’au drapeau à damier, le Français se cassera les dents sur la défense virile de son ainé, qui remporte ce qui restera 25e et dernier succès en Formule 1.

En sortant de sa voiture, dans le parc fermé, Prost ne cache pas un léger agacement, mais Lauda ne tarde pas à désamorcer la situation : « Désolé Alain. S’il le faut, je t’aiderais lors des prochaines courses, mais celle-là, je la voulais ».

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