Abu Dhabi, ça sera sans moi !

Voilà, tout est dans le titre. Ma saison 2021 s’arrête ce soir, sur une égalité entre les deux prétendants au titre suprême. Enfin, paraît-il, parce que je n’ai pas regardé la fin de la course. A quoi bon ? Je ne vous cache pas que le résultat m’arrange : les pilotes resteront pour moi dos-à-dos.

Comme un certain nombre d’entre vous, j’étais anxieux avant même le départ de ce Grand Prix d’Arabie Saoudite. Le tracé de Djeddah, bien que magnifique, me faisait peur. « Oh putain, c’est chaud ! » a sans doute été l’une des phrases que j’ai le plus prononcé ce week-end. Et puis, il y avait aussi cette gêne d’entendre les louanges adressées aux organisateurs, qui recevront sans doute un trophée lors de la prochaine remise de prix de la FIA ou de la FOM, alors qu’on peut légitiment s’interroger sur les conditions dans lesquelles ce circuit est sorti du sable. Ma gêne était aussi liée au discours de certains pilotes – Hamilton essentiellement – qui exprimaient la leur de courir dans un pays qui respecte si peu les droits qui nous/me sont chers.

Mais la F1 est devenue une habitude pour ne pas dire une addiction. Bien que la saison s’éternise, bien que l’absence d’enjeux mondiaux pour les pilotes et/ou écuries qui me sont chers atteigne ma motivation, je réponds au rendez-vous. Et puis, il y a Bibiche. Pas plus tard qu’aujourd’hui, une heure avant le départ du Grand Prix, nous enregistrions un podcast où je soulignais la chance que nous avions de pouvoir partager, ensemble, notre passion pour la F1. Pourtant, depuis quelques Grands Prix, quand Bibiche me demande si on met les essais libres en replay, le vendredi soir en rentrant du boulot, c’est souvent à contre-cœur que j’accepte.

Malgré tout, je suis les séances. J’analyse ce que je peux. Je rouspète devant les inepties des commentateurs et m’exaspère des performances de mes chouchous, mais je ne vibre pas pleinement pour la course au titre. Évidement, le fait de n’apprécier aucun des deux pilotes en lice m’aide à trouver que le champagne qu’ils nous servent à un goût de bouchon, mais j’ai surtout le sentiment que ce duel de titans m’est confisqué. Confisqué par une réalisation et des médias qui en font trop quand ils n’ajoutent pas de l’huile sur le feu. Confisqué par Toto Wolf, Christian Horner et Helmut Marko que j’aimerais qu’on bâillonne au fond d’une cave dans leurs usines respectives plutôt que de nous les donner en spectacle. Confisqué, enfin et surtout, par l’arbitre qui n’assure plus le rôle qui doit être le sien.

Ce soir, la goutte qui fait déborder le vase de ma patience est tombée. Enfin, je dis la goutte, mais il y en a eu plusieurs. En effet, non contents de jouer les marchands de tapis pour éviter d’avoir à ouvrir une enquête et prendre leurs responsabilités en posant, excusez mon expression, leurs couilles sur la table, la direction de course et les commissaires ont laissé les deux prétendants livrés à eux-mêmes, comme si on avait laissé Mike Tyson et Evander Holyfield se foutre sur la gueule en espérant juste que le coma plus que la mort vienne siffler la fin du match.

Je passerai sur les responsabilités de Lewis Hamilton et Max Verstappen qui ont chacun leur part dans le spectacle affligeant qui nous a été donné de voir. Vous et moi, nous aurons des avis différents – ou pas -, notamment sur le pourcentage : peu importe. Sur le circuit, sans aucun doute le plus dangereux du calendrier, le système arbitral était dépassé. C’était intolérable sur les précédents grands prix : c’est insupportable sur la corniche de Djeddah. Surtout avec deux pilotes à l’hosto après un spectaculaire accident au départ de la dernière course de Formule 2.

Vers le quarante-cinquième tour, je suis parti dans la cuisine préparer le repas du soir en lançant à Bibiche : « J’en ai marre. Je ne vais pas les regarder se faire mal. » En 2014, l’accident de Jules Bianchi avait précipité ma décision de quitter le Service Après-Vente de la F1. Je n’ai jamais pardonné à la F1 la manière dont elle s’est absoute de toute responsabilité – ou presque – dans la mort de Jules. Mais je suis un drogué : j’ai continué à regarder, tout comme la mort d’Anthoine Hubert n’a pas eu raison du téléspectateur fidèle que je suis. Mais je ne peux m’empêcher de me sentir comme ce personnage dans La Haine, film que je n’ai pourtant jamais vu : « Jusqu’ici, tout va bien ! » La direction que prend la F1 nous emmène, selon moi, droit vers un nouveau drame, mais jusqu’ici, tout allait bien !

Je viens de lire La mort en face de Marion et Romain Grosjean. Je ne peux que vous en conseiller la lecture parce que l’accident de Grosjean, comme celui d’Anthoine ou Jules avant, nous rappelle que derrière chaque pilote, il y a une famille : une compagne, des enfants, des parents. Pour le coup, Romain Grosjean, c’était la fatalité : je n’ai aucun reproche à faire à la FIA. Mais je me souviens encore de la peur qui a été la mienne de devoir à nouveau enterrer un de ces valeureux fous du voulant que j’admire tant. Ce soir, j’ai eu peur pour Lewis et Max. Peur que leur duel aille trop loin, alors qu’il avait déjà atteint certains sommets en matière de risques corporels. Peur qu’ils se fassent très mal tout simplement parce que le pion était incapable de siffler la fin de la récréation, tétanisé sans doute par la peur d’intervenir dans cette confrontation électrique. La faute à qui ?!

Mais je n’oublie pas que ce laisser-aller, pour ne pas dire cet abandon de poste, se justifie au titre du « Let them race ! », que c’est nous qui cautionnons cela comme la plèbe cautionnait la mise à mort des gladiateurs vaincus. Ce soir, j’ai personnellement décidé de ne plus cautionner cela : la peur est parfois un bon remède contre les addictions.

Je ne regarderai donc pas le final de la saison à Abu Dhabi mais souhaite que le meilleur gagne… si possible sans foutre l’autre au tas. Je ne veux pas promettre qu’il n’y aura pas de rechute à mon addiction, mais je ne pense pas pouvoir à nouveau regarder la Formule 1 tant que je ne pourrais pas accorder mon entière confiance à celles et ceux qui l’arbitrent. Lewis et Max valent et méritent mieux que ça. Ce sport mérite mieux que l’indigence dont font preuve Michael Masi et consorts. A l’heure où Jean Todt doit passer la main, j’appelle de mes vœux à ce que le futur Président de la FIA réaffirme son rôle et sa responsabilité envers les pilotes, les écuries, leurs familles… et envers nous.

Il s’agit évidemment d’une réaction à chaud, mais afficher ainsi ma décision m’engage. Sur twitter, Fab écrivait : « Heureusement que je suis payé pour regarder ça car sinon c’était télé éteinte. » Nous, nous avons le choix. Nous l’avons toujours eu : j’ai été lâche de ne pas éteindre ma télévision plus tôt.

Je suis loin de renoncer à la F1, et encore moins au SAV. Je continuerai évidemment de suivre ce qu’il s’y passe, ne serait-ce que pour savoir quand je pourrai rallumer ma télé… enfin, quand revenir partager cela avec Bibiche. La Formule 1 occupe une place unique dans ma vie, mais ce spectacle malsain où l’on joue un peu trop à se faire peur mérite-t-il vraiment d’être considéré comme le pinacle du sport automobile ? Ce soir, plus que jamais, c’est non !

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