Comm’ blasé

Après 25 ans de passion pour la F1 – dont une bonne quinzaine de dévorantes et près de 10 en podcast -, la jauge de mon hype-o-mètre est au plus bas. J’ai mis quelques temps à m’en rendre compte. Ça a commencé vers le début de saison.

Parmi mon entourage proche, je suis censé être de loin le plus mordu. Pourtant, j’ai fini par remarquer qu’à chaque fois qu’on me tendait une perche en s’enthousiasmant à la suite de tel ou tel Grand Prix, c’est moi qui mordais. Je trouvais systématiquement une raison de relativiser. Et je rabattais assez froidement la joie de mon interlocuteur, qui, pour le coup, devait intérieurement me trouver bien couillon de m’autoproclamer « fan de F1 ».

« C’est long, 25 ans ! », vous allez me dire. Allez, dites-le à voix haute ! Forcément, au bout d’une telle période de temps, on connaît mieux, on est moins surpris. Mais, c’était déjà long, 20 ans, et pourtant, en 2016, j’étais à fond dedans. À l’époque, rater une séance d’essais libres était tout bonnement inconcevable ! C’est encore plus long 24 ans, et je vous prie de croire que « à fond » est un doux euphémisme pour décrire la façon dont j’ai vécu la saison 2020.

Il faut dire que cette saison tardive, improvisée, condensée, m’en aura donné, des émotions ! Des records poussés toujours plus loin, des drapeaux rouges nombreux et suivis de départs arrêtés, des crevaisons synchronisées, des podiums inattendus, une victoire française, un calvaire rouge, un Grand Prix sur une patinoire, une jeunesse qui pousse, une terrible angoisse pendant 3 minutes, un champion sur la touche suppléé par un pigiste insensible à la pression, cette phrase est beaucoup trop longue, un pilote solide qui passe d’un avenir en pointillés à une victoire et une place en top team…

Trop, peut-être ? Oui et non. Oui, car il sera probablement difficile de réunir autant d’ingrédients pour créer un cocktail émotionnel aussi riche. Même en rajoutant la seule chose qui aura manqué : un championnat indécis jusqu’au dernier virage du dernier tour du dernier Grand Prix. En cela, et par contraste avec le contexte global pesant dans lequel elle s’est insérée, l’année F1 2020 a touché une certaine forme de grâce, que la discipline ne connaîtra de nouveau que par la loi des grands nombres, si elle traverse les siècles. Non, parce que justement, j’ai conscience de cela, et que ces années passées à décortiquer des voitures tournant en rond m’ont montré qu’il n’y avait pas que ce qu’il se passe en piste qui piquait mon intérêt, et que j’avais survécu à bien pire qu’au spectacle sportif proposé en cette cuvée 2021.

D’aucuns ont pour loisir d’élever des fourmis, et voient en miniature comment une société s’organise, la distribution des rôles, les rapports de force, etc. La F1, avec ses enjeux politiques, technologiques, économiques, est ma fourmilière. C’est un peu de la fourmi’le 1, si vous me le permettez… (Humour de qualité vendu séparément.) De la même manière que le fourmiculteur tient son carnet, je participe au SAV et j’écris cet article.

Seulement, une fourmilière sous verre… reste sous verre. La reine ne vient pas vous expliquer que sa dauphine ne lui a pas laissé assez de place, bien qu’en délicatesse à l’intérieur d’une cavité courbe. Cette dernière ne se plaint pas que la tête couronnée a pavané de manière trop bravache pendant qu’elle se remettait de ses émotions. Les membres de leur cour respective ne passent pas une partie de leur temps à faire pression sur le directeur de la colonie pour qu’il tranche leur différend en leur faveur… alors que ce n’est pas lui qui s’en charge, mais les représentants désignés par la Fourmi Intelligence Agency.

Bon, j’arrête de filer cette métaphore, parce que même à écrire, ça en devient pénible. Vous l’aurez compris, ce sont les excès des communiquants, du story-telling, qui me gâchent le plaisir. L’ensemble du microcosme partage un intérêt commun à faire monter à l’envi une mayonnaise médiatique. Mais aujourd’hui, elle contient un peu trop de moutarde à mon goût. J’arrive à saturation en beaucoup de points.

La lutte pour le championnat entre Hamilton et Verstappen ne se suffit-elle pas pour qu’en plus, Mercedes et Red Bull se doivent de surjouer une rivalité dans les médias ? D’ailleurs, les médias ! Tous nous disent depuis la fin des essais hivernaux que la saison va se jouer jusqu’au bout. Aucune voix discordante pour rappeler les nombreux exemples récents de saisons prometteuses, qui ont fini par tourner très rapidement à la domination (2013, 2017, 2018…). Situation d’autant plus envisageable avec un budget capé qui réduit les possibilités d’évolution de la hiérarchie, et un total de 23 Grands Prix qui diminue l’importance d’une mauvaise course.

Et que dire du clientélisme des diffuseurs, quels qu’ils soient ? Fin 2020, j’ai délaissé Canal+ et la part franchouillarde de sa couverture, qui n’a d’yeux que pour la lutte pour la victoire et les tricolores. Overdose de Gasly, Grosjean, Ocon, Leclerc (Monaco, France, c’est pareil !), Renault, Abiteboul, Vasseur, etc. Mais au final, c’est pareil sur Sky, et donc F1TV : il n’y en a que pour Hamilton, Verstappen, Norris, Russell, McLaren, Williams, etc.

Le plus frappant chez les Britanniques, c’est Russell : « Mister Saturday », qu’ils l’appellent. C’est un pilote manifestement très prometteur, et son Grand Prix de Sakhir était totalement bluffant. Mais battre continuellement en qualifications le terrible Nicholas Latifi et l’ombre de Robert Kubica constitue-t-il une performance suffisamment solide pour tant de louanges ? Au bout de 3 ou 4 Q2 consécutives, on serait en droit de penser que c’est le niveau réel de la Williams le samedi, non ? Alors après 10 Grands Prix d’affilée… Et lorsque cela s’accompagne d’erreurs dominicales lourdes de conséquences (Imola 2020 et 2021) pour une écurie Williams en sécheresse d’occasions de marquer de maigres points, silence radio ? C’est juste « le métier qui rentre » ?

Je finis – car oui, je vais conclure ce papier ! – avec Liberty Media. Le « Sprint Qualifying » a son propre logo, qui vibre pour souligner le spectacle qu’il va nous procurer. Pendant cette épreuve, les caméras embarquées en réalité augmenté encadrent la voiture qui précède, avec le nom du pilote en incrustation – une animation qui fait ramer la vidéo… La couronne de lauriers est déterrée des traditions… sur un camion ostensiblement aux couleurs du sponsor du procédé. Ross Brawn, qui a plus forcé pour cette réforme qu’un Harvey Weinstein des grands jours, prend la parole dès le samedi soir pour valider au nom des fans le succès du dispositif : on découvre que « les fans » est une masse uniforme et unanime. La monoplace 2022, qui doit régler tous les maux de la planète, Covid compris, nous est présentée en grandes pompes pour la première fois… pour la troisième fois (ce n’est pas une faute de copier/coller, entre la présentation du modèle en soufflerie, les premiers rendus publiés, et cette présentation-ci, on nous a ressorti quasiment le même modèle à plusieurs sauces différentes).

Je m’arrête là, je m’énerve tout seul devant mon écran de PC. Imaginez juste que cette aigreur n’est même pas du fait de ces décisions en elles-mêmes ! Je ne suis pas fermé au « Sprint Qualifying » qui, en l’état, ne va juste ni révolutionner, ni dénaturer la F1. Et tout moyen permettant aux monoplaces de mieux se suivre est bienvenu, les turbulences aérodynamiques étant beaucoup trop proéminentes depuis 2017. Et je pense être loin du « C’était mieux avant ! » qu’on nous assène régulièrement à propos de divers pans du sport. Non, c’est simplement l’enrobage qui est rajouté autour de tout cela qui me fatigue : je l’apprécie autant que les pilotes aiment celui des pistes resurfacées.

Alors je fais quoi, du coup ? En temps normal, à ce stade de mon billet, je propose des solutions bien évidemment brillantes à ma problématique, qui restent bien entendu lettres mortes (Jean Todt, je te vois). Mais là, je me retrouve particulièrement démuni, impuissant, fataliste : l’état actuel de la Formule 1 est loin d’être catastrophique. Les finances des écuries s’assainissent petit à petit. La hiérarchie se resserre par légères touches – en attendant 2022. Surtout, la discipline attire une audience croissante et rajeunie. Pourquoi changer une méthode qui gagne pour panser les états d’âme de quelques anciens combattants de ma trempe ?

Ne reste alors que la modération et la patience. Se tenir plus loin de l’actualité, des déclarations prémâchées des uns et des autres. S’épargner les essais libres, qui ne sont plus que de mauvais talk shows entrecoupés d’égrénages de chronos. Prêter moins attention – voire couper – les commentaires, en ne laissant que le son naturel (les réseaux sociaux, c’est déjà fait). Puis voir si la flamme se ravive. Sinon, rien de grave. Il y a d’autres fourmilières. Après tout, « C’est long, 25 ans ! »

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