Cockpits fermés : lettre ouverte à Jean Todt
|Valence, le 21 octobre 2014
Monsieur le Président de la FIA,
Amateur de sport automobile, et notamment de Formule 1, depuis mon plus jeune âge – j’approche aujourd’hui des 26 ans -, j’ai la chance de faire aujourd’hui partie de l’équipe du Service Après-Vente de la F1, un site Web consacré à la discipline reine, savf1.fr, qui publie notamment un podcast audio régulier. Mais malgré la formidable tribune que cela représente, j’ai réalisé suite au dramatique accident de Jules Bianchi que j’ai trop longtemps gardé mes critiques pour ce cercle très fermé quand il s’est agi de réfléchir à améliorer ce qui peut l’être en Formule 1.
En ce sens, je ressens une part de responsabilité dans ce qui arrive au pilote français, ne vous ayant pas écrit, comme beaucoup d’autres, alors que je rouspétais devant ma télévision à chaque intervention de camions-grues du type de celui qu’a violemment percuté le pilote Marussia ce dimanche 5 octobre, lors du Grand Prix du Japon. C’est pourquoi, après une période de recul nécessaire à une réflexion épurée de toute réaction épidermique et instantanée, généralement mauvaise conseillère, je prends aujourd’hui la plume.
Je formule par la présente lettre le souhait que, comme chaque accident grave, le crash de Jules Bianchi ait des conséquences sur le futur de la Formule 1, et qu’il participe à la constante amélioration des conditions de sécurité du sport automobile pour les années à venir. Par les retours qui me parviennent dans les médias, et notamment concernant la conférence de presse donnée à Sotchi le vendredi 10 octobre, je crois la Fédération que vous présidez capable de tirer convenablement les leçons de cet accident précis en termes de procédures (utilisation de grues, sortie de la voiture de sécurité, respect des drapeaux jaunes).
En revanche, je souhaite attirer votre attention sur la conception des voitures de Formule 1. Il me semble désormais inévitable de faire d’elles des monoplaces fermées protégeant ainsi plus efficacement les pilotes, et notamment leur tête. Très sincèrement, je ne me considère pas assez compétent pour juger la gravité qu’aurait eu l’accident de Jules Bianchi si sa Marussia avait été fermée. Sans que je puisse décemment l’étayer, mon avis est que cela n’aurait rien empêché.
Mais raisonner en ne prenant que cet accident en considération me semble extrêmement dangereux. Le Grand Prix du Japon a beau être la pièce à conviction la plus récente au dossier de la sécurité, et en tant que tel, il se doit effectivement d’être mis au centre des investigations qui ont lieu actuellement, nombre d’autres accidents qui se sont produits – quelles que soient les disciplines, les conditions, les conséquences pour les pilotes – méritent d’être pris en compte dans cette réflexion globale.
En ce sens, si un cockpit fermé n’aurait probablement pas aidé Jules Bianchi, Roland Ratzenberger, Robert Kubica ou d’autres dans les graves accidents que nous leur connaissons, et n’a pas permis à Allan Simonsen de rester parmi nous, cela aurait contribué à ce qu’Ayrton Senna, Henry Surtees, ou Dan Wheldon, entre autres, s’en sortent mieux, et il est possible que cela ait aidé Allan McNish, Mike Rockenfeller et Anthony Davidson à se sortir sans dommages de leurs terribles accidents aux 24 Heures du Mans. D’autres crashs récents, comme celui de Nick Heidfeld en Formule E, doivent également faire partie de cette remise en cause générale – pour le cas cité, en ce qui concerne l’utilisation des vibreurs qui peuvent propulser les voitures en l’air.
Oui, un cockpit fermé pose d’autres problèmes. Il faut réguler la température à l’intérieur de l’habitacle. Il faut s’assurer de la bonne visibilité du pilote dans tous les angles et toutes les conditions (buée, pluie, dépôts sur le pare-brise). Il faut faire en sorte que cela n’empêche pas l’occupant de l’habitacle de sortir rapidement, notamment lorsque la voiture est retournée. Mais rien de tout cela n’est nouveau dans le sport automobile, et il n’existe guère de problème dans ce domaine qui serait spécifique à la Formule 1.
Nous parlons du sommet de la course automobile, et avec des réglementations suffisamment exigeantes, déjà existantes en LMP1 et LMP2 et pouvant être transposées à la Formule 1 et renforcées, les ingénieurs des écuries sauront produire des monoplaces fermées sûres. Des solutions à ces problématiques sont déjà disponibles ailleurs, que ce soit dans le monde des sports mécaniques ou sur nos voitures de route : essuie-glace, climatisation, anti-buée, rétroviseurs virtuels par caméra, portières à fixation explosives viendront, entre autres, combattre les réserves citées précédemment.
Quant au soi-disant ADN de la F1 – ou par extension, des courses de monoplaces – que cela modifierait, en sa qualité de catégorie qui, depuis ses débuts, a toujours consisté en des voitures ouvertes, qu’il aille au diable ! Il n’y a de toutes façons plus grand chose de commun entre la « Formule de Course Internationale n°1 » définie par votre institution en 1946 et le « Championnat du Monde FIA de Formule Un » d’aujourd’hui, si ce n’est ce nombre 1 qui énonce toujours le seul principe de la discipline : nous sommes au sommet du sport automobile sur circuit, que ce soit du côté des pilotes ou de la technologie. Ce ne sont pas quelques couches supplémentaires de fibre de carbone, de plastique ou de verre qui changeront cela, surtout si elles permettent à des pilotes de ne pas quitter ce pinacle par la mauvaise porte.
Qu’en est-il des moyens dont vous disposez pour introduire ce changement – ou tout autre que vous jugerez utile ? Les canaux habituels de prise de décision me semblent bouchés. Je vous sais de toute façon, d’après diverses informations publiées par la presse spécialisée, pieds et poings liés par les autres acteurs de la discipline, la FIA ayant accordé aux écuries de F1 davantage de pouvoir décisionnel après la crise qu’a constitué en 2009 le bras de fer entre l’association des écuries, la FOTA aujourd’hui disparue, et votre prédécesseur Max Mosley.
En ce sens, le magazine britannique Autosport a rapporté sur son site Web, le mardi 7 octobre 2014, qu’au sein du Groupe Stratégique de la Formule 1, en octobre 2013, des discussions initiées par la Fédération visant à introduire un arceau de sécurité frontal sur les monoplaces de Formule 1, testé par l’Institut FIA, avaient été balayées d’un revers de main par les détenteurs des droits commerciaux de la Formule 1, représentés par Bernie Ecclestone, et les écuries Red Bull, McLaren et Mercedes.
Des représentants d’alors de deux de ces trois équipes, MM. Christian Horner et Martin Whitmarsh, ont notamment souligné, toujours selon le magazine anglais, l’esthétique « choquante » de cette solution. Soit dit en passant, ces mêmes écuries nous ont pourtant imposé quelques dispositifs dont le rendu visuel s’est avéré, pour rester mesuré, discutable, notamment les museaux dits « d’ornithorynque » en 2012, visant à détourner à des fins de performance aérodynamique des réglementations introduites pour des raisons de sécurité. De plus, nul besoin de souligner le cynisme de ce refus manifeste d’améliorer la sécurité pour des considérations bien annexes comme l’esthétisme – et qui se résument en réalité, on s’en doute bien, à de vulgaires problématiques commerciales – et ce sans contre-proposition.
Malgré tout, il apparaît que la FIA dispose, à compter de la date du 1er mars de l’année précédente d’un championnat (1er mars 2015 pour la saison 2016), de la possibilité exclusive de modifier le Règlement Technique dudit championnat pour des raisons de sécurité avec effet immédiat. C’est donc là votre chance d’éviter des discussions stériles avec des acteurs pour lesquels la sécurité n’est pas réellement le cheval de bataille qu’elle devrait être : il vous suffit d’avertir les équipes dès à présent, afin que chacun puisse s’y préparer convenablement, qu’au 1er mars prochain, vous ferez jouer ce droit pour changer comme il le faudra la réglementation 2016, à défaut de délais suffisants pour celle de 2015.
Cela nécessitera pour vous, j’en conviens, un grand élan de volonté pour imposer en force des changements, qui, connaissant votre goût pour la discussion sereine et le consensus, ne vous correspondent pas de prime abord. Mais la sécurité des pilotes, des commissaires et des spectateurs mérite de votre part ce si petit sacrifice en comparaison des vies que ces changements seraient à même de sauver. Pour que nous tendions à ce que seules la fatalité et la plus pure malchance soient à même de prendre la vie d’un acteur du sport automobile.
Vous remerciant de votre attention, je vous prie de bien vouloir accepter, Monsieur le Président de la FIA, mes salutations distinguées.
Marc DE LIMA LUCIO
Une version papier de ce courrier a été postée ce mercredi 22 octobre à l’attention du Président de la FIA, 8, Place de la Concorde, 75008 Paris.
Si le but est la sécurité, vous pouvez aussi proposer de limiter la vitesse des voitures.
Je pense que votre lettre part d’un bon sentiment, mais que n’est pas le sens d’un sport extrême. Il est désirable d’éviter les risques inutiles, mais cette recherche de la sécurité doit être subordonnée à la compétition et aux caractéristiques du sport, car si le sport n’est plus, alors l’instant n’a plus de but et un risque résiduel, aussi faible soit-il, n’a plus de sens.
Comme je le dis dans la lettre, ce ne sont pas quelques morceaux de carbone et un pare-brise qui vont faire de la F1 un tout autre sport. Il y aura toujours autant d’esprit de compétition, toujours autant de technologie, toujours autant d’adresse et de talent requis pour piloter ces voitures. On y risquera moins de perdre bêtement sa vie, simplement. L’obligation des voitures fermées en LMP1 n’a, que je sache, pas transfiguré les 24 Heures de Mans.
Limiter la vitesses des voitures est nécessaire quand c’est fait de manière raisonnable. Cette année, on était très limite, la pole du GP2 plaçant régulièrement son signataire devant certaines monoplaces de F1. On diminuera la vitesse d’ici 2 ou 3 ans, quand les ingénieurs auront gagné quelques secondes au tour. On pourra alors le faire sans les rapprocher de trop des GP2, de l’IndyCar, de la FR3.5 ou de la Super Formula. Sinon, on en fera une Formule 1,5 ou 2, et là, la F1 perdrait une partie de son sens.
« Nous parlons du sommet de la course automobile, et avec des réglementations suffisamment exigeantes, déjà existantes en LMP1 et LMP2 et pouvant être transposées à la Formule 1 et renforcées, les ingénieurs des écuries sauront produire des monoplaces fermées sûres »
Les LMP2 sont ouvertes il me semble ?
Elles le sont encore, mais il a été décidé qu’a l’avenir elles auraient toutes un cockpit fermé, si je me rappelle bien c’est pour 2017. C’est la fin des barquettes au Mans.
Ah ok, merci pour l’info 🙂
Le règlement LMP2 a toujours permis les voitures fermées. Cette année, les nouvelles Ligier JSP2 l’étaient, l’année passée les Lotus T128 également, il y a quelques années de cela, les Lola B08/80, etc.
Et maintenant que j’y pense, les protos des années 80/90 étaient fermés (Mazda 787, Peugeot 905, etc.) puis les LMP1 étaient ouvert (Audi R8, les Pescarolo, etc.) puis de nouveau fermés donc.
Il y a une diférence fondamentale en une monoplace et un vehicule de type NASCAR.
L’habitacle d’un NASCAR est large est degagé.
Ceci permet a un pilote accidenté de se contorsioner pour s’en extraire. Meme si le la caroserie est bien déformée ou qu’il a une jambe cassé.
Ca permet aussi au secouriste d’acceder a l’interieur de l’habitacle. Fusse au prix de quelques coups de tatane pour dégager la tolle froissée.
Si les F1 actuelle avaient une bulle un tant soit peut solide, combien de temps suplementaire aurait-il fallut avant qu’un respirateur ne soit appliqué sur le visage de Bianchi?
Je ne suis pas vent debout contre l’idée de cockpit fermé. Le feu est un probleme presque obsolete. Mais il y a peut etre une raison pour laquelle les voiture les plus minimaliste sont ouvertes.
Bonjour,
Suite au décès de Justin Wilson en IndyCar et aussi aux roues qui volaient en GP3 (course2) à Spa, je pense que cette lettre doit être réactualisée et remise en avant tellement elle toujours cruellement valable. Peut-être même envisager une pétition ?
RIP Justin…
Yann.
À quoi servirait de la réactualiser ? L’accident de Justin Wilson n’apporte aucun éclairage nouveau, il ne fait que de souligner de manière tragique ce qui a déjà été envoyé à Jean Todt dans le premier courrier, sans que personne ne sache ce qu’il en est advenu. Et tout d’actualité qu’elle soit – si tant est qu’elle ne le soit jamais : je pense qu’elle le restera de toute façon tant qu’une solution n’apparaître pas sur les voitures -, cette lettre n’était rien de plus qu’une incitation à travailler pour sécuriser la tête des pilotes. Or, la F1 n’en a jamais réellement eu besoin puisqu’on a appris que dans son ensemble (FIA et écuries), elle oeuvre encore aujourd’hui pour trouver une solution et l’appliquer demain.
Le seul problème que l’on peut soulever aujourd’hui par rapport à octobre dernier, c’est celui de la communication : ça faisait quasiment 3 ans et demi que la FIA n’avait pas parlé de ses travaux en matière de protection de la tête, et il a fallu l’accident de Justin Wilson pour prendre connaissance des dernières évolutions du projet (d’un demi-pare-brise classique, on est passé à une vitre inspirée de l’aviation militaire, puis à un arceau bête et méchant, puis à un arceau un peu plus évolué proposé par Mercedes gênant moins la visibilité du pilote). Dans cette communication, personne n’a non plus expliqué pourquoi ce qui marche en LMP n’est pas transposable en F1. Et si c’est transposable, pourquoi ça fait 6 ans, depuis le début de ce projet après les accidents de Surtees et Massa, qu’on se pignole à essayer de trouver autre chose alors que les multiples accidents de prototypes ont prouvé qu’un cockpit entièrement fermé pouvait sauver des vies – même si le manque de visibilité a parfois provoqué certains de ces accidents.
Cela dit, arrêtons de parler de pétition pour tout et n’importe quoi. Ça ne sert à rien dans 99,9% des cas. Et au mieux, on parle là d’éviter la mort d’une ou deux personnes chaque année. C’est important, et ça nous tient probablement tous à coeur, mais il faut relativiser : il y a bien des problèmes qui mériteraient davantage une pétition que celui-ci. Ce n’est que du sport automobile.