Après Jules, pensons à Kurt, Arthur, Michele, Milton ou encore Satoshima

Aujourd’hui, nous avons reçu un mail. Quelqu’un nous propose une chronique sur les cockpits fermés en Formule 1. Généralement, la procédure veut que l’on en parle au sein de l’équipe pour pouvoir y apporter la meilleure réponse possible, mais aujourd’hui, c’est à vous que j’ai envie d’en parler. Enfin, j’ai plutôt envie de commencer par vous parler de Kurt Heinsmann. Ne cherchez pas, vous ne le connaissez pas. De toute façon, moi non plus je ne le connais pas. Je ne fais que supposer son existence.

Par exemple, étant donné son nom, je suppose qu’il est allemand. Allez, tant qu’on y est, il doit être de la région d’Heppenheim et, évidemment, comme Sebastian Vettel avant lui, il use ses fonds de culottes sur le circuit de Kerpen. Il est même fort probable que ces deux-là s’y soient rencontrés. D’ailleurs, son premier vrai souvenir en Formule 1, c’est la victoire de Seb à Monza. Son père, fan quant à lui de Michael Schumacher, n’a donc pu qu’encourager la vocation du petit quand il a émis le souhait de faire du kart.

A ce propos, ce sacré Kurt commence à se faire un nom qui ne tarde pas à sonner aux oreilles d’un patron d’écurie qui, comme Ron Dennis le fit avec Lewis Hamilton, décide de le garder à l’œil. Finalement, ce qui devait arriver arriva : à 20 ans, Kurt Heinsmann fait ses débuts en F1. Des débuts discrets mais très prometteurs. Puis arrive le premier podium. Peut-être en Hongrie ou alors… non, pas en Allemagne : la Hongrie c’est très bien. Tout le monde sait que ce n’est que le premier d’une longue série, mais Heinsmann confirme. Il double, triple, quadruple la mise. Puis c’est la victoire, la première. C’est aussi l’heure du premier choix difficile, celui de quitter le nid, de céder aux sirènes des écuries qui feront du champagne une habitude. Mais tout ne se passe pas comme prévu : après deux courses, Kurt a un accident. La suite, vous pouvez très bien l’imaginer sans moi.

Vous l’aurez compris, Kurt Heinsmann n’existe pas. Ou alors, après tout, peut-être que si, mais sans doute s’appelle-t-il Arthur Dumenil, Michele Bombardelli, Milton Campbell, Satoshima Hittajiru, … Peut-être est-il né, peut-être ne l’est-il pas encore : une chose est sûre, il va exister. Comme vient de nous le rappeler bien malgré lui Jules Bianchi, le risque zéro n’existe pas, encore moins en Formule 1 : il n’y a donc pas de raison que ça change.

Alors, pourquoi donc vous parler de Kurt Heinsmann ? Tout simplement pour m’excuser. Oui, m’excuser parce que, ce qui va lui arriver, relève indirectement de ma faute, de notre faute à tous… comme pour Bianchi, Maria, Ayrton, Roland, etc.

Evidemment, notre réflexion première, lorsqu’un pilote se retrouve à flirter d’un peu trop près avec la mort, c’est de dénicher la tête qu’il faut couper et de préférence une tête bien juteuse qui pendouille au bout d’une branche de l’arbre à têtes coupées, bref, la plus facile à attraper. Dans le cas de Bianchi, par exemple, c’est la FIA et plus particulièrement Charlie Whiting. Je vous avoue que, lundi soir, en rentrant du travail, à quelques minutes du début du SAV de la course du Grand Prix du Japon, j’étais prêt à vous la servir sur un plateau sa tête : j’aurais même poussé le vice jusqu’à faire rissoler des petits oignons et à acheter du persil.

Je ne sais plus d’où ça m’est venu, mais j’ai simplement senti la colère monter en moi et je m’en suis pris à cette bande d’incompétents et donc à cet imbécile de Charlie : « Mais putain, pourquoi ils n’ont pas sorti la voiture de sécurité ces cons ? » Puis je m’en suis pris à Jean Todt, à Bernie Ecclestone. Ensuite, il y a eu les pilotes et les écuries qui, comme toujours, se réveillent un peu tard et oublient qu’ils sont les premiers à dire : « C’est bon, Charlie, on peut rouler ! » Même Sutil en a pris pour son grade : « Il pouvait pas rester sur la piste, non ?! C’était trop dur ?! » Et puis je m’en suis pris à Jules : « Et si finalement tu l’avais pris trop vite ce virage ? Et si tu avais sous estimé le danger voire tout simplement ignoré ce satané drapeau jaune. »

Puis, en lisant le mail nous proposant une chronique sur les cockpits fermés, ma colère s’est redirigée vers son auteur, et plus généralement vers tous ceux qui sont forts de leurs certitudes sur les responsabilités des uns et des autres : « Le cockpit fermé ?! Rassurez-moi, c’est une plaisanterie ? Vous croyez sincèrement que ça aurait changé quelque chose ? Qu’avec une bulle en plexi de perlimpinpin garantie 100% magique, ce pauvre Jules s’en serait sorti avec une galipette et un roulé-boulé en descendant de sa voiture aidé des commissaires ? Vous pensez sérieusement qu’un cockpit fermé aurait empêché le cerveau de Jules Bianchi de subir une décélération telle qu’elle en a endommagé de façon quasiment irrémédiable les liaisons nerveuses ? »

Et puis, ce soir, en rentrant du travail, je suis arrivé au bout de la branche et j’ai cueilli le fruit le plus mûr : moi ! Parce que la réalité, c’est que je le savais, tout comme je sais par avance pour Kurt Heinsmann. Je n’ai pas les éléments nécessaires pour pouvoir juger, rationnellement, qui de la FIA, de Charlie Whiting, du commissaire du poste 12 ou de Jules Bianchi est responsable. A vrai dire, ce n’est même pas à moi d’en juger même si, évidemment, j’essaie de comprendre. Tout ce que je sais, c’est que l’accident de dimanche était évitable. Les grues mobiles et les commissaires de pistes qui sont obligés de danser le tango avec le danger, je m’en suis indigné comme bon nombre d’entre vous. Les conditions de pistes ? Même si je revendique de préférer les courses sur piste sèche, une goutte de pluie qui s’écrase sur la lentille d’une caméra embarquée suscite chez moi une montée d’adrénaline, tant est si bien que moi aussi j’ai trouvé qu’elle était restée longtemps sur la piste cette voiture de sécurité. La luminosité ? Je vous avoue que si j’apprécie les courses à 4 heures du matin, je commence à me faire vieux et que je ne crache plus sur mes huit heures de sommeil.

Et puis il y a la FIA…

Pour ceux qui suivent le SAV depuis maintenant six ans, vous savez que je suis généralement au premier rang quand il s’agit de jeter la pierre à Charlie Whiting et à le critiquer pour sa gestion de la course. Vous n’ignorez pas non plus que j’exècre la FIA quand elle cède aux caprices des pilotes et des écuries, quand elle s’avoue impuissante face à des pneus Pirelli devenus dangereux, quand elle accepte d’être plus coulante envers les pilotes et leurs écuries parce qu’on juge les sanctions trop sévères. Finalement, l’accident de Bianchi, évitable, est devenu inéluctable parce qu’on l’a tous vu venir, d’une manière ou d’une autre. On a tous dit : « Un jour, ça finira mal. » Et puis on a fermé nos gueules, on est resté, vous vautrés dans vos canapés et moi le cul posé sur mon siège, le micro sous le nez.

Le fait est que nous avons laissé faire, que l’on s’est reposé sur l’incroyable sécurité des monoplaces qui nous a évité jusque-là bien des tourments, pas plus tard qu’au Bahreïn, au Canada ou encore en Allemagne cette saison. Après la course, Alain Prost soulignait, fort justement que les pilotes découvraient la réalité qui était celle de sa génération et qui elle-même n’avait rien à voir avec la génération précédente. Ce qui vaut d’un côté de l’écran, s’applique aussi de l’autre. Comme l’a fort bien souligné Fab dans sa chronique, nous découvrons aujourd’hui la réalité qui était celle de nos parents, qui elle-même n’avait rien à voir avec celle de nos grands parents. Je me rappelle la surprise que j’ai eu, il y a quelques mois à peine, quand j’ai appris que la mort de Cevert avait chagriné ma mère, elle qui subit plus qu’autre chose les discussions sportives que mon frère et mon père pouvons entretenir autour du fameux rôti dominical.

Alors, il nous faut agir, faire entendre notre voix, dire que nous ne tolérerons plus ça. Ne me prêtez pas d’intentions politiques parce qu’au fond, si je sais quoi dire, je ne sais pas quoi faire. Ma seule certitude, c’est que nous devons, vous, sortir de vos canapés, et moi, ne pas me contenter de ce micro derrière lequel je finis par me réfugier. Y arriverons-nous ? Sincèrement, je doute de ma propre capacité à agir mais je me dis que, s’il est trop tard pour Jules, l’espoir reste permis pour Kurt, Arthur, Michele, Milton ou encore Satoshima.

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