Spirit Racing : Le premier come-back de Honda

Si le partenariat entre McLaren et Honda version 2015 est loin de celui de la fin des années 1980 et début des années 1990, l’histoire du retour du motoriste nippon en est tout aussi éloignée. L’occasion pour Slash de revenir sur le parcours de la petite écurie Spirit.

McLaren, Honda, Alonso, Button. Quand on aime la F1 et que l’on connaît son histoire, impossible de ne pas être enthousiasmé par l’équipe réunie à Woking pour cette saison 2015. Deux Champions du Monde, aux commandes des voitures de l’une des équipes les plus titrées du paddock, qui retrouve cette année le motoriste avec lequel elle a signé certains de ses plus beaux succès. A l’annonce de ce partenariat, il était impossible de ne pas repenser à l’épopée fantastique des McLaren-Honda à qui rien ne résistait à la fin des années 80. Dès 1988, la première année du duo, la McLaren-Honda MP4/4 a gagné 15 Grands Prix sur 16. Puis ce fût l’homérique confrontation Prost-Senna en 1989 et 1990. Et enfin, le duel, presque un passage de témoin, entre Senna et sa MP4/6 à moteur V12 et Mansell et sa Williams FW14 à V10 Renault.

Bien entendu, tout le monde s’attendait à des débuts difficiles : le nouveau règlement a rendu la tâche des motoristes incroyablement complexe, le V6 Turbo hybride représente un challenge technologique considérable, Mercedes a placé la barre très, très haut et des maisons prestigieuses comme Renault et dans une moindre mesure Ferrari se sont pris les pieds dans le tapis en 2014. Toutefois, on pouvait y croire : McLaren et Honda allaient avoir une période de rodage, le début de saison ne serait peut-être pas mémorable, mais les deux entreprises connaissent très bien la F1 : il y aurait des progrès réguliers et ces deux grands noms et leurs Champions du Monde de pilotes allaient y arriver et gagner comme ils l’avaient déjà fait. Il était d’autant facile de s’enthousiasmer que l’écurie comme son motoriste ont énormément joué sur la corde nostalgique dans leur communication, en évoquant abondamment les jours glorieux et les monoplaces rouges et blanches durant toute l’intersaison 2014-2015.

Mais, alors que la dernière ligne droite de la saison 2015 s’amorce, les faits sont cruels et les MP4-30 d’Alonso et de Button ne décollent pas vraiment du fond de grille. Les performances sont faibles, la fiabilité est désastreuse et des tensions commencent à poindre entre les deux partenaires sous le masque d’une communication officielle se voulant apaisante, mais peinant de plus en plus à masquer les crispations. Les GP du Japon et de Russie ont été particulièrement emblématiques, avec des propos peu amènes d’Alonso à la radio.

Si l’annonce de Honda en F1 avait soulevé un certain enthousiasme, le fait que ce retour se fasse directement et exclusivement avec un top team avait suscité certains doutes. La pression du résultat, l’obligation de gagner vite pour répondre aux attentes des actionnaires, des observateurs, des fans est forcément plus forte quand on reforme un duo aussi prestigieux. N’allait-elle pas être un obstacle destructeur ?

N’aurait-il pas mieux valu, pour Honda, s’assurer un retour sans pression en passant une saison, ou plus, à éprouver son nouveau groupe hybride dans les voitures d’une petite écurie ? Les mauvais résultats n’auraient pas causé les dégâts actuels en termes d’image et le retour du motoriste japonais aurait pu être, dans un premier temps au moins, plus simple : moins d’attention médiatique, moins d’explications à donner sur les résultats et au final, moins d’énergie perdue à se justifier et moins de tensions entre les partenaires…

C’est en tout cas le choix qu’avait fait Honda lors de son premier come-back en F1, au début des années 80.

Le retour

En effet, après une première présence en F1 en tant qu’écurie à part entière entre les années 1964 et 1968, Honda se recentrera sur sa production de véhicules routiers. La seconde moitié des années 1970 sera marquée par le lancement de plusieurs modèles phares du constructeur (Civic, Accord…) et par la création du 4-cylindres CVCC, pionnier en matière de réduction des émissions polluantes.

Si bien que lors de la conférence de presse destinée à célébrer le nouvel an 1978, une déclaration de Kiyoshi Kawashima, le président de la firme, fera sensation : « La course fait partie de la culture d’entreprise de Honda. Que nous gagnions ou perdions n’a pas d’importance. Nous voulons montrer notre meilleure technologie aux utilisateurs de voitures Honda, sous la forme d’un spectacle divertissant. C’est pourquoi nous avons décidé de reprendre nos activités en compétition.« 

Un an plus tard, Honda sera de retour en Grand Prix moto. Pour ce qui est de la course auto, Honda ne visera pas directement le sommet de la pyramide et reviendra sur les circuits en 1980, en motorisant l’équipe Ralt de Ron Tauranac en Formule 2.

Dès la seconde saison de Honda dans la discipline, une Ralt-Honda pilotée par Geoff Lees remportera le très relevé Championnat d’Europe de F2, véritable antichambre des Grands Prix. Pourtant, les Japonais sont inquiets de voir Ralt mobiliser beaucoup de ses ressources sur la production de voitures de F3, qui étaient alors très prisées. Honda souhaite chercher une alternative aux monoplaces de Tauranac et va se rapprocher de March, l’un des principaux rivaux de Ralt en F2. L’équipe officielle March en Championnat d’Europe aligne des voitures mues par des moteurs 6 cylindres en ligne BMW. Elle est dirigée par John Wickham, qui avait par le passé exercé les mêmes fonctions chez Surtees. Sous la bannière du junior team de son motoriste bavarois, l’équipe March de John Wickhama a remporté le titre européen en 1978 et 1979 avec Marc Surer et Bruno Giaccomelli au volant.

Quand les dirigeants de Honda contactent March, c’est donc naturellement Wickham qui les reçoit : « Ils étaient préoccupés par le fait que Ralt, bien qu’ils soient performants, puissent avoir l’esprit ailleurs, tant ils produisaient de F3. Cela a conduit Honda à décider qu’ils voulaient un groupe de personnes qui pourrait se concentrer entièrement sur le programme en F2« .

La création de Spirit : par la volonté de Honda

Chez March, Wickham travaille avec l’ingénieur Gordon Coppuck, qui est une célébrité des paddocks : créateur de l’iconique McLaren M23, qui a permis à Emerson Fittipaldi et James Hunt de décrocher une couronne mondiale en 1974 et 1976, il quittera McLaren en 1980, lors du rachat de l’équipe par Ron Dennis et trouvera refuge chez March, par l’entremise de son patron Robin Herd, lui aussi ancien de McLaren.

Bénéficiant du soutien officieux de Honda, les deux hommes vont quitter March et fonder leur propre structure, qu’ils appelleront Spirit Racing. Outre Honda, ils bénéficient également du support de Bridgestone qui souhaite utiliser la compétition automobile pour faire connaître ses produits en Europe. Quand, à la fin 1981, la création de la nouvelle équipe est rendue publique, aucune référence à ses mécènes nippons ne sera faite. Néanmoins, Spirit Racing s’installera à Slough, au sud de l’Angleterre, dans les anciens locaux de l’équipe de Grand Prix moto de Honda…

Le premier employé de l’équipe est le designer John Baldwin, un autre ancien de chez McLaren. Coppuck et lui vont commencer à dessiner leur Formule 2 dans un pavillon loué pour la circonstance. Pendant ce temps, Wickham va chercher des pilotes pour les futures F2 Spirit-Honda, mais également des partenaires pour boucler le budget de l’équipe.

Pour recruter ses pilotes, Wickham va se souvenir que chez March, l’année précédente, l’une des trois voitures officielles était confiée à Thierry Boutsen. Le jeune Belge a remporté deux courses pour March en 1981 et son palmarès compte aussi un titre de Champion d’Europe de F3 1980. C’est donc un choix tout naturel pour Wickham, qui décidera de confier sa seconde voiture au Suédois Stefan Johansson, vainqueur en 1980 du prestigieux Championnat de Grande-Bretagne de F3, et auteur en 81 de performances solides sur une Toleman en Formule 2.

Ces deux pilotes, outre leur pointe de vitesse, bénéficient du soutien des filiales de Marlboro dans leurs pays respectifs. Les subsides du cigarettier sont les bienvenus car, si Spirit est soutenue financièrement par Honda, et dispose de moteurs et d’ateliers, elle n’est pas financée à 100 % par le constructeur et Wickham aura dû trouver la moitié du financement de la campagne 1982. Mais pour autant, ce choix n’était pas dicté uniquement par des considérations financières : « A mon sens, ils étaient les deux meilleurs pilotes disponibles pour 1982. Les associer avait du sens pour de nombreuses raisons « .

La première monoplace de l’équipe, prendra le nom de Spirit 201. Elle a l’allure d’une F1 à l’échelle réduite et sera chaussée de gommes Bridgestone, motorisée par le V6 Honda et portera la livrée rouge et blanche de son sponsor américain.

La Spirit 201

Avec de tels soutiens, l’équipe a de nombreux atouts pour être compétitive en F2. Très saine, homogène et immédiatement dans le rythme de ses concurrentes, la Spirit 201 se révèle être une excellente voiture, dont Gordon Coppuck est extrêmement satisfait : « Je suis très fier de cette voiture. Sur une course en particulier, l’une des autres voitures peut avoir rivalisé avec nous, mais nous étions constamment rapides. C’était une voiture qui était bonne partout« . Cette constance du châssis de la 201 était indéniable et les résultats de Spirit dans en championnat d’Europe 1982 sont plus que probants, avec 10 poles positions en 13 courses, 3 victoires, 40 % des tours de course couverts en tête et la troisième place finale au championnat pour Boutsen, qui jouera le titre jusqu’à la dernière course.

Cette ultime manche, courue au mois d’août, sur la piste séchante du circuit de Misano, laissera un souvenir vif à Wickham : « Bridgestone avait un programme de développement en cours, et cela a signifié que nous sommes passés de pneus à carcasse diagonale à des pneus radiaux en cours d’année. Ils ne sont jamais arrivés à faire un pneu pluie radial. Ça n’était pas un problème, sauf si nous avions à changer de pneus pendant la course » Le passage d’un type de carcasse à l’autre, sans pouvoir retoucher le réglages, dégrada les performances de la monoplace. Boutsen glissa à la sixième place de l’épreuve et assista impuissant au succès des March-BMW de Corrado Fabi et Johnny Cecotto qui réalisent le doublé au championnat.

L’arrivée en F1

C’est au cours de cette saison 1982 que Honda commencera la conception de son futur moteur de F1. Le V6 aligné en F2 s’étant montré performant (300 chevaux pour 2 litres) et très fiable, les responsables du projet F1 de Honda, Yoshio Nakamura et Nobuhiko Kawamoto, ont décidé de l’utiliser comme base pour leur premier moteur turbo de F1. L’angle de 80 degrés est conservé, tout comme l’alésage de 90mm. La réduction de 500 cc de la cylindrée est obtenue par une réduction de la course (de 52,3 à 39,2 mm). Alimenté en air par deux turbos, le V6 RA 163 E développe une puissance de 620 chevaux à 11500 tours minute, contre 600 pour le V6 Ferrari 021 et 640 pour le 4 cylindre en ligne BMW M12/13 qui équipe les Brabham.

Honda reviendra donc à la F1 en 1983, 5 ans après l’annonce du président Kawashima. La discipline est alors en pleine mutation. Le moteur turbo, introduit par Renault en 1977, bouleverse la catégorie après des décennies de quasi-monopole du V8 Ford-Cosworth et toutes les écuries qui veulent a minima prétendre à la victoire s’activent pour se procurer un bloc suralimenté. Dans ce contexte, la F1 redevient une vitrine pour les constructeurs et Honda souhaite y retourner pour démontrer son savoir-faire.

Mais, pour éprouver son matériel à l’abri de toute pression pression, le grand constructeur japonais choisira de s’appuyer sur Spirit, peu de temps après un voyage au Japon de John Wickham : « Il y a toujours eu des discussions autour d’un turbo. Ce n’était que des ouï-dire jusqu’au milieu de l’année quand on m’a montré le moteur. J’étais donc au courant de ce qui se passait, mais la décision de nous impliquer dans le projet n’a pas été prise avant les dernières courses de F2 en Europe ». A ce stade, il n’est pas sûr que les dirigeants japonais aient eu réellement l’intention de faire avec Spirit autre chose que des essais, dans un mulet fourni par le team, toujours est-il que durant l’été 1982, les ingénieurs de Gordon Coppuck recevront une maquette du V6 turbo pour travailler à son intégration dans le châssis d’une monoplace.

Malgré des résultats inférieurs à ceux de son coéquipier, c’est Johansson, considéré comme plus rapide, qui est choisi pour piloter la future Spirit-Honda de F1. Curieusement, alors que Boutsen a fini 10 des 13 courses du championnat, Johansson, 8ème du classement final, a concentré sur lui toutes les malchances. Le natif de Växjö se souvient : « La voiture était rapide d’emblée, mais j’ai eu plus que ma part d’ennuis. Il y avait toujours un petit problème qui m’empêchait de gagner« . C’est pour le Suédois une occasion inespérée de redorer son blason au plus haut niveau, après une première expérience qui dura deux courses, soldées par des non-qualifications, dans écurie Shadow moribonde au début 1980. De son côté, Thierry Boutsen demeurera un temps sans volant, avant de parvenir à réunir un budget qui lui permettra de rejoindre l’écurie Arrows en F1 à partir du GP de Belgique 1983. Auteur de performances convaincantes, il y effectuera 3 saisons supplémentaires.

Le moteur V6 Honda RA 163 E

Le V6 RA 163 E sera greffé dans une coque neuve de Spirit 201, la F2 de la saison précédente, simplement adaptée à l’encombrement de sa nouvelle mécanique et aux roues plus grandes utilisées en F1. Ce mulet, dont le réservoir n’a même pas la capacité suffisante pour effectuer une course, recevra son baptême de piste le 24 novembre, jour de l’anniversaire de John Wickham, à Silverstone. La 201 couvrira ensuite un programme d’essais privés intensif mais discret. Des modifications du règlement technique interviendront, dans le but de limiter l’exploitation de l’effet de sol. La partie latérale de la 201 devra donc être modifiée assez vite et la machine sera renommée 201-B. Cherchant le beau temps, pour tester la mécanique dans des conditions les plus proches possible de la course, la Spirit Honda écumera le continent américain, sur les circuits de Willow Springs ou de Rio, évidant soigneusement les confrontations avec la concurrence. Au retour de l’équipe en Angleterre, Spirit commencera à manifester son envie d’aligner la voiture en course : « Nous étions une équipe de course, donc, c’est ce que nous voulions faire. Mais nous avions aussi le sentiment que si nous ne le faisions pas, le moteur pourrait finir ailleurs » L’accord de Honda sera donné in extremis (Wickham dormira littéralement devant son fax!), juste avant la date limite d’inscription au championnat du Monde. Les débuts de Spirit en compétition auront lieu sur le circuit britannique de Brands Hatch, pour ce qui reste à ce jour la dernière course de F1 courue hors championnat : la 14ème Course des Champions, disputée le 10 avril 1983.

Premières courses

Johansson qualifiera la Spirit 201-B à la douzième et avant dernière position, à 19,7 secondes du temps de la pole de Keke Rosberg sur Williams-Cosworth. La Spirit devançant seulement la RAM de Jean-louis Schlesser qui n’avait pas enregistré de temps. L’écart avec les meilleurs est conséquent, mais des problèmes techniques ont empêché Johansson de couvrir un tour correct, si bien qu’il est encore difficile de jauger les capacités de la Spirit et surtout de son moteur.

La course apportera certains éléments de réponse, puisque le Suédois effectuera une remontée impressionnante dans le peloton, se montrant manifestement plus véloce que les adversaires se trouvant à sa portée immédiate. Malheureusement, une fuite d’eau, causée par un radiateur percé lors d’un contact un peu trop appuyé avec la Théodore de Roberto Guerrero mettra fin à la prestation de la petite monoplace tricolore.

La télévision japonaise ne manquera cependant pas de relater l’événement :

Bien que brève, l’expérience ne sera pas moins riche d’enseignements pour les deux partenaires. En effet, si le bloc RA 163 E affiche une puissance comparable à celle de ces rivaux bavarois ou lombards, l’épreuve de la course a toutefois montré que sa plage d’utilisation était beaucoup trop étroite, obligeant Johansson à de trop nombreux changements de rapports. Il est également devenu clair que sa fiabilité devait impérativement progresser pour pouvoir rivaliser.

Le châssis de la Spirit s’est lui aussi montré plus que perfectible. Directement issu d’une coque de F2, sans autre adaptation que celles nécessaires à l’implantation du moteur, il n’avait d’autre but que de fournir une plate-forme de test au V6 Honda, la performance n’était pas une priorité, et si la 201 excellait en F2 avec une mécanique de 300 chevaux, le choses sont bien différentes avec une puissance près de deux fois supérieure. Mais le défaut rédhibitoire qui affecte la réalisation de Coppuck, c’est son poids. Convenable pour une F2, il est bien trop important pour une voiture de l’échelon supérieur, surtout à l’heure où les top teams sont toutes en train de passer aux châssis carbone, une technologie introduite il y quelques années par McLaren.

De nouveaux essais privés auront donc lieu et Spirit ne reviendra en course qu’au mois de juillet, pour le GP de Grande-Bretagne, avec une importante évolution de sa monoplace. Baptisée 201-C, elle arbore une livrée blanche et n’a plus l’aspect ramassé de sa devancière. Coppuck présentera ainsi les évolutions apportées à sa création : « La 201-C était la même en termes de concept, mais elle était construite avec un réservoir correctement dimensionné et une suspension plus robuste. C’était une F1 correcte« . Plus adaptée à la compétition en F1, la 201-C conserve néanmoins un poids beaucoup plus élevé que ses rivales, qui trahit toujours son origine de F2, mais Coppuck travaille assidûment sur une nouvelle voiture, la Spirit 101, qui sera la première véritable F1 de l’équipe.

Les qualifications de GP de Grande-Bretagne seront dominées par les toutes nouvelles Ferrari 126 C3 d’Arnoux et Tambay, dont la principale innovation réside dans leur coque en carbone, une grande première pour la Scuderia. Johansson amènera sa Spirit au 14ème rang, à 4 secondes et demie du poleman, juste derrière la mieux placée des voitures à moteur atmosphérique : la Williams-Cosworth de Rosberg. Le Finlandais, Champion du Monde en titre, se démène pour compenser le manque de puissance de sa monture. A Silverstone, il ira jusqu’à utiliser un aileron arrière quasiment horizontal pour conserver un peu de vitesse de pointe face à des moteurs turbos de plus en plus au point et de plus en plus nombreux sur la grille. Lotus a d’ailleurs rejoint le club des suralimentés à l’occasion de ce week-end en inaugurant sa 94-T à moteur Renault. Rosberg commence donc a se plaindre de plus en plus ouvertement de la situation et il a posé un ultimatum à Franck Williams : sans un moteur turbo pour 1984, le il quittera l’écurie. La presse se fait largement l’écho du mécontentement du Finlandais, et commencera même a spéculer à la suite d’une rencontre entre Franck Williams et Yoshio Nakamura…

Sur un tracé de Silverstone qui fait la part belle à la puissance, Johansson devance en qualifications un autre champion du monde, Niki Lauda, qui est beaucoup plus serein quant à son avenir, puisque durant la pause estivale de 5 semaines précédant l’épreuve, il a pu procéder aux premiers essais du V6 turbo TAG, commandé à Porsche par McLaren.

La course de Johansson sera brève : durant le 5ème tour, une courroie de pompe à essence de son V6 se rompt et le conduit à l’abandon. Mais le Suédois aura réalisé un bon départ, au moment de la défaillance de sa monture, il était déjà remonté en 10ème position et bataillait avec la Lotus de Mansell. Malgré ce retrait prématuré, la petite équipe, son motoriste et son pilote ont fait bonne impression, même si Wickham affiche devant la presse une certaine prudence, se fixant un objectif modeste : jouer les points seulement pour la dernière manche de la saison, courue à Kyalami.

Cette fois encore, les péripéties de la Spirit Honda à Silverstone occuperont une large place dans la couverture de la course par les médias nippons :

L’épreuve suivante, en Allemagne ressemblera beaucoup à Silverstone pour Spirit : Johansson se qualifiera 13ème, encore devant Rosberg, après de nombreux soucis techniques et abandonnera sur casse moteur au 12ème tour, alors qu’il pointait en 9ème position. Coppuck expliquera ces problèmes par la complexité technique du V6 Honda : « Nous avons eu beaucoup de petits problèmes électriques. Nous utilisions une injection électronique, à la demande personnelle de Monsieur Honda, ce qui était une première pour un turbo.« .

Williams-Honda !

Deux semaines plus tard, le grand cirque de la F1 plante son chapiteau en Autriche, où le début du week-end est marqué par une annonce qui aura un impact énorme sur l’équipe de John Wickham. En effet, Franck Williams et Nobuhiko Kawamoto annoncent la conclusion d’un partenariat entre Williams et Honda pour les deux saisons à venir, avec une fourniture de moteurs à titre gratuit ! Cet accord met fin aux velléités de départ de Rosberg, qui lorgnait du côté de Maranello avec des prétentions salariales démesurées, tandis que Patrick Head et son équipe technique, lassés de voir leurs créations dominées en piste faute de chevaux, ne font pas ombrage de leur souhait de voir une Williams-Honda en course dès cette année 1983.

Pour Spirit, le coup est rude, mais John Wickham espère encore bénéficier d’un contrat de fourniture des moteurs japonais aux côtés de Williams pour 1984.

Dans ce contexte, la performance autrichienne de la Spirit ne plaidera pas en sa faveur : qualifié 16ème, Johansson devra courir dans les stands durant le tour de chauffe pour se ruer sur son mulet après que la suspension de sa 201-C de course ait cassé ! Ce genre de mésaventure était si fréquente en essais que, plusieurs années plus tard, le Suédois en plaisantera : « Je n’avais pas besoin de faire de sport ! Nous avions tellement de problèmes en piste que je courrais des kilomètres et des kilomètres pour retourner aux stands et sauter dans le mulet« . Ce jour-là, le moteur de la voiture de réserve ne se montrant pas au meilleur de sa forme, le Johansson naviguera dans le peloton où il se fera accrocher par la Tyrrell d’Alboreto. Il pourra repartir, mais devra passer par les stands pour changer de museau et verra l’arrivée à une anonyme 12ème place, distancé par les meilleures atmosphériques et sous la menace directe de l’Arrows BMW de Boutsen, son ancien coéquipier, dont les débuts sont très appréciés des observateurs.

Deux semaines plus tard, le GP des Pays-Bas laissera beaucoup de regrets à Spirit. Certes, Johansson parviendra à nouveau à amener la lourde 201-C à l’arrivée, qui plus est à la septième place, mais aura perdu énormément de temps, et un ou plusieurs points au passage, à cause d’un début d’incendie lors d’un ravitaillement.

Ces problèmes de fiabilité et de jeunesse, assez compréhensibles pour équipe débutante, ont néanmoins entamé la confiance de Honda envers son partenaire. Cependant, le sort de Spirit aura probablement été scellé, dans l’esprit des dirigeants japonais, à l’issue du Grand Prix d’Italie.

Monza : la rupture

Alors qu’entre Zandvoort et Monza, la Williams-Honda a effectué ses premiers tours de roues, Spirit a dans le même temps, levé le voile sur son nouveau châssis, la 101. L’espoir de la petite équipe est, grâce à une monoplace plus performante, de prouver à son puissant motoriste qu’elle mérite de poursuivre leur association en 1984, fût-ce comme un partenaire de second rang derrière la prestigieuse Williams.

Hélas, la 101 insuffisamment préparée, ne pourra même pas être présentée aux vérifications techniques. Et la lourde 201-C, qui devait n’être qu’un mulet de tests, devra une fois encore tenter de rivaliser avec des adversaires de plus en plus affûtés. Cette, fois, ce sont les deux McLaren qui passent hors de sa portée, en étrennant leur nouveau V6 TAG turbo.

Le retard et les soucis de fiabilité de la Spirit 101, l’incapacité à réduire suffisamment le poids de la 201-C, l’occasion ratée à Zandvoort, tout cela a probablement contribué à sceller le sort de Spirit aux yeux de Honda, pour qui dorénavant, une seule conclusion s’impose : Spirit n’est plus à même de permettre à leurs moteurs de progresser. Wickham apprendra à ce moment que la cause de son team est entendue : « Après Monza, Honda n’a pas voulu que nous emmenions notre voiture pour la dernière course à Kyalami« .

La 201-C sera alignée une dernière fois en course lors du GP d’Europe couru à Brands Hatch, là même où la Spirit-Honda avait effectué 5 mois plus tôt ses débuts en compétition :

Cette avant-dernière course de la saison 1983, remplace au calendrier une épreuve qui était sensée se tenir dans les rues de New-York. Lors de la manche finale, en Afrique du Sud, Rosberg et Laffite se verront confier la nouvelle Williams FW-09 Honda. Les souhaits de Patrick Head auront été exaucés. Les débuts du nouveau tandem seront cependant éclipsés par la confrontation finale pour le titre pilotes entre René Arnoux, Alain Prost et Nelson Piquet, auteur d’une fin de saison fulgurante et sacré pour la deuxième fois après la casse des moteurs des deux Français. On découvrira plus tard que la Brabham-BMW du Brésilien utilisait un carburant non-conforme. Malgré les preuves, aucune réclamation ne sera portée contre l’équipe de Bernie Ecclestone.

Les espoirs de Spirit d’être le second team de Honda en 1984 seront déçus. Avançant une capacité de production insuffisante pour les besoins de deux structures, les Japonais laisseront l’écurie – dont ils avaient largement encouragé la fondation – se débrouiller sans eux et l’on ne saura jamais ce que la Spirit 101 aurait pu réaliser avec une motorisation plus aboutie.

Spirit sans Honda

En effet, la perte du soutien de son Pygmalion porte un rude coup à l’équipe. Trop jeune pour intéresser un constructeur, Spirit se tournera vers Brian Hart, le seul motoriste qui commercialise un moteur turbo auprès des équipes indépendantes. Spirit partagera le 4 cylindres anglais avec RAM et Toleman, qui en cette saison 1984, mise beaucoup sur le recrutement d’une jeune Brésilien prometteur dénommé Ayrton Senna…

Mais les conséquences pour l’équipe de John Wickham sont également financières. Même si Honda verse un petit dédommagement à Spirit (en l’échange de la présence d’un logo sur la carrosserie, même sans moteur !), l’équipe doit trouver des fonds pour survivre ; le retrait de Honda perturbe considérablement les plans de Wickham : « J’avais un contrat de sponsoring majeur pour l’année suivante avec Skoal Bandit, mais il reposait sur le fait que nous ayons les moteurs Honda« . Dans ces conditions, le fabriquant de tabac à chiquer préférera miser sur l’équipe RAM…

La Spirit 101

Brian Hart ne peut fournir qu’un seul moteur à Spirit. Gordon Coppuck va donc adapter un châssis conçu à l’origine pour un V6 bi-turbo, pour qu’il puisse accueillir à la fois le 4 cylindres en ligne de Hart, mais également ce bon vieux V8 Cosworth ! L’idée de Wickham est de confier la 101-Hart à un pilote de pointe et une 101-Cosworth à un pilote qui apporterait un financement.

Et le pilote envisagé pour la plus véloce des deux Spirit n’est pas n’importe qui. Ayant côtoyé Coppuck chez McLaren, Emerson Fittipaldi va essayer la Spirit-Hart, envisageant un retour sur les circuits après la fermeture en 1982 de l’écurie qu’il codirigeait avec son frère. L’autre machine doit être confiée à Fluvio Ballabio. L’Italien, modeste 16ème du Championnat d’Europe de F2 l’année précédente, a pour atout principal le soutien de l’entreprise familiale, les éditions Mondadori, qui diffusent les publications de Disney en Italie. C’est donc une 101-Hart arborant des publicités pour Mickey Mouse et Dingo que le double champion du monde brésilien essaiera, à l’orée de l’année 84. Bien que la greffe du moteur Hart se soit étonnamment bien passée, ne provoquant aucun problème majeur, rien ne va tourner comme prévu.

Jugeant que la voiture ne lui permettrait pas de jouer aux avant-postes, Fittipaldi décidera de se tourner vers l’Indycar. Un coup dur n’arrivant jamais seul, la Super Licence de Ballabio ne lui sera pas accordée. C’est finalement Mauro Baldi, compatriote de Ballabio sortant d’une saison de F1 difficile dans l’équipe officielle Alfa Roméo, qui réunira les subsides nécessaires aux 2 premières courses de la saison. Baldi n’est pas le plus rapide des pilotes, mais il est fiable, commet peu d’erreurs et respecte beaucoup la mécanique. Des qualités qui feront de lui un pilote prisé des équipes d’endurance. Les débuts seront honorables, avec une 8ème place en Afrique du Sud, et en tout cas bien meilleurs que ceux de RAM qui, à moteur égal mais budget supérieur, fait moins bien.

L’enveloppe de Baldi épuisée, Jean-Louis Schlesser devait prendre la suite du transalpin dans la Spirit. Mais un litige judiciaire entre le futur vainqueur du Dakar et RAM va rendre le transfert impossible et Baldi va voir son bail se prolonger pendant 4 courses de plus, dans une Spirit dont la livrée changera presque du tout au tout à chaque épreuve. Baldi devra finalement céder son volant au Néerlandais Huub Rothengatter. Le Batave n’a pas couru en monoplace depuis 1981, mais il a le soutien de plusieurs sponsors locaux, dont le circuit de Zandvoort.

Les ennuis continuent et faute de pièces disponibles chez Hart, Spirit devra aligner au Grand Prix de Détroit une 101 propulsée par un V8 Ford atmosphérique ; les modifications envisagées en début de saison pour aligner la voiture de Ballabio n’auront donc pas été imaginées en vain. Le résultat cependant sera désastreux et Rothengatter ne se qualifiera pas pour la course, concédant presque 9 secondes à la pole de Piquet. Le Hart fera son retour dès l’épreuve suivante. Baldi trouvera les fonds pour revenir pour les deux dernières manches de la saison, le châssis recevra deux évolutions en cours d’année, mais les résultats ne seront pas meilleurs et les 8èmes places de Baldi à Kyalami et au GP d’Europe sur le Nürburgring ainsi que celle de Rothengatter à Monza resteront les meilleures performances de Spirit cette année-là. La structure ne marque aucun point et, si elle peut se targuer d’avoir le quatrième meilleur taux de fiabilité du plateau, cela ne suffit pas à attirer un sponsor titre et John Wickham et ses hommes se seront débattus avec des finances extrêmement précaires durant toute la saison.

En 1985, Spirit s’alignera à nouveau, avec la 101-D, une ultime évolution de sa monoplace, Mauro Baldi demeure au volant et le 4 cylindres Hart, malgré sa fragilité est conservé faute de mieux. L’histoire s’arrêtera au bout de 3 courses, toutes conclues par des abandons. Exsangue financièrement et sans aucune perspective d’amélioration, Spirit acceptera une offre de Toleman, dans laquelle son sponsor Benetton venait d’investir massivement, pour le rachat de son contrat de pneus Pirelli. Wickham mettra donc un terme à l’aventure, et même si une nouvelle monoplace qualifiée de « plutôt radicale » avait été dessinée, les finances de l’équipe étaient trop faibles pour envisager un jour de la construire.

Honda sans Spirit

Pour Spirit, la montée en F1 avec Honda n’aura donc pas été couronnée de succès. Mais pour le géant nippon, ce sera tout le contraire : Williams et Honda seront sacrés Champions du Monde des constructeurs en 1986 et 1987. Nelson Piquet remportera son troisième titre pilotes en 1987, après une duel épique avec son coéquipier Mansell, arbitré par la Lotus-Honda de Senna et, dans une moindre mesure, par la McLaren de Prost, bridée par une mécanique TAG-Porsche arrivée au bout de son développement.

Honda quittera Williams et Senna quittera Lotus à la fin de cette saison. Le génie brésilien et la firme japonaise rallieront McLaren. Ron Dennis a réussi à réunir sous son toit ce qui se fait de mieux au pinacle du sport auto. De bien belles pages d’histoire seront écrites. Il y aura des triomphes, des conflits, des larmes, mais c’est une autre histoire…

Les choses auraient-elles été différentes si Honda n’était pas passé par cette phase d’apprentissage avec Spirit ? Certes, la saison 84 de Williams-Honda n’aura pas été des plus faciles avec de très nombreux abandons. Cette fiabilité désastreuse, même pour l’époque, aura ainsi raison de la patience de Keke Rosberg. Ce n’est certes pas la première qualité du Champion du Monde 82, qui partira disputer la saison 85 chez McLaren. Mais sans cette campagne d’apprentissage en 1983, avec des résultats peu valorisants, Honda aurait proposé à Williams un moteur encore moins abouti, aux performances indignes des attentes et du « standing » de Williams, qui était déjà reconnue à l’époque comme étant l’une des meilleures formations du plateau. Les difficultés, qui ont poussé Rosberg à rejoindre Ron Dennis et son V6 TAG alors au mieux de sa forme, n’auraient-elles pas été pires encore ? Auraient-elles pu causer d’autres départs ? Déstabiliser Williams plus encore qu’elle ne l’a été par le départ d’un Rosberg, qu’il aura suffi de remplacer par Piquet ? Il suffit de regarder McLaren, d’écouter Alonso perdre son calme à la face du monde, de constater encore et toujours l’absence de sponsor-titre, d’entendre Eric Boullier temporiser et Ron Dennis se taire pour avoir la réponse…

Ancien pilote Spirit, Stefan Johansson a vu Honda revenir en F1 après 15 ans, il les a vus travailler et apprendre. Il a vu les techniciens démonter les moteurs à l’issue d’une journée d’essais pour les étudier et retrouvé le lendemain matin une voiture prête à reprendre la piste comme si rien ne s’était passé. Après avoir piloté pour Ferrari, il prendra la suite de Rosberg chez McLaren pour une saison seulement. Il se tournera ensuite vers l’Indycar, puis l’Endurance (1 victoire au général et 2 victoires de classe au Mans) et s’est aujourd’hui reconverti dans l’horlogerie. Il reste cependant un observateur attentif du sport auto et si, comme nous tous, il voit McLaren et Honda en grande difficulté pour le moment, il faut selon lui relativiser les ennuis actuels et regarder vers l’avenir : « Tout le monde parle de l’âge d’or des McLaren-Honda avec Prost et Senna, » rappelle Johansson sur son blog, « mais moi je me souviens des galères en 1983 sur la Spirit-Honda. Toute proportion gardée, ce n’est pas très différent de ce qu’endurent Alonso et Button aujourd’hui. (…) Les différences culturelles sont énormes et il faudra du temps pour que les deux parties collaborent harmonieusement, souligne-t-il. « C’est davantage aux gens de Honda de s’adapter aux exigences de la F1 moderne, en intégrant bien tous les paramètres. McLaren peut les aider à trouver la bonne méthode de travail, mais cela ne se fera pas en un jour.« 

Il aura fallu 4 ans à Honda pour remporter un titre, lors de son premier retour, si le temps avant de retrouver le sommets est aussi long cette fois, il va falloir pour les deux partenaires résister aux pressions de différentes origines et conserver la motivation de tous (Alonso sera t-il plus patient que Rosberg ?) pour survivre à cette épreuve.

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