La mort au tournant

Champion ! Le 4 octobre 1970, Jochen Rindt devient Champion du Monde de Formule 1 sur une Lotus. Le titre de sa vie, lui qui a déjà remporté Le Mans en 1965, lui qui a débuté sa carrière en catégorie reine la même année. Mais à l’arrivée, pas de joie, de cris ou de champagne. Non, puisque Rindt n’est pas là pour le fêter…

Un mois avant, et alors qu’il dominait largement la saison de Formule 1, il se présentait à Monza avec la possibilité de creuser un écart irrémédiable sur ses rivaux, déjà loin. Mais en ce mois de septembre, Jochen est perturbé : Bruce McLaren, son ancien coéquipier chez Cooper, et Piers Courage, son grand ami, se sont tués en juin. Dans ce contexte tristement tendu, Rindt, voyant les accidents graves se multiplier et ses amis échapper ou non à la mort, reproche à Colin Chapman la conception de ses voitures, ostensiblement axées vers plus de vitesse et de légèreté ou détriment de la sécurité. Ainsi, avait-il fait la promesse à sa compagne de se retirer de ce sport en fin de saison, « une fois le titre en poche »

Lors des différentes séances d’essais de ce Grand Prix, les Lotus se montrent relativement peu performantes, notamment par rapport à la March de Stewart. Cette dernière, dépourvue d’ailerons, est plus rapide. Rindt, en pilote pragmatique, décide donc de se passer des appendices aérodynamiques : la voiture est nerveuse, parfois à la limite du contrôlable, mais Jochen se satisfait de ses performances. Sa décision est prise. Son coéquipier, John Miles, racontera plus tard que lui ne souhaitait pas se passer des ailerons, en raison justement de l’instabilité de la voiture mais aussi du fait que personne ne connaissait le comportement de la Lotus dans cette configuration. Il se vit malgré tout imposer l’absence des ailerons par Chapman.

Le samedi matin, lors de la dernière séance d’essais avant les qualifications de l’après midi, le temps était radieux. Rindt s’élança sur la piste, quand John Miles procédait aux derniers réglages avant, lui aussi, de quitter le paddock pour rejoindre la ligne des stands. Le pilote britannique s’élance à contrecœur vers la piste, remarquant soudain un silence « bizarre » troublé par quelques bruits de moteurs. Avant même de quitter la ligne des stands, il est arrêté par trois de ses ingénieurs. Chapman lui indique que Rindt a eu un accident et qu’il devait aller avoir. Ce que les commissaires empêchèrent, pour le plus grand soulagement de Miles, qui avait un mauvais pressentiment.

Non loin de là, dans la Parabolique, la Lotus est arrêtée dans les graviers, l’avant totalement détruit. Quelques secondes plus tôt, elle abordait le freinage de ce virage. Denny Hulme, qui était derrière l’Autrichien au moment de l’accident, confia qu’après avoir été doublé par le leader du championnat, la voiture zigzagua dangereusement avant de partir sur la gauche et se planter dans le rail.

La Lotus de Rindt venant s'enfoncer dans les rails (Monza 1970)

La thèse la plus communément admise pour expliquer cet incident résulte en réalité d’une somme complexe de dysfonctionnements qui ont abouti au décès de Rindt. En effet, une défaillance du système de freins a sans doute déséquilibré la voiture. L’absence d’ailerons n’a pas permis au pilote de la contrôler malgré tout. Le rail, placé bien trop haut par rapport à la hauteur des F1 de l’époque, n’a pas joué son rôle et, lorsque la fine Lotus s’est infiltrée en dessous, a causé la mort de Rindt. De même, le système de harnais a été retrouvé enroulé autour du cou du pilote, lui-même enfoncé au fond du cockpit.

L’accident de Jochen Rindt est, à lui seul, la synthèse de multiples facteurs pouvant expliquer la mort d’un pilote de Formule 1. D’un contexte difficile à un incident mécanique, en passant par le manque parfois cruel de sécurité ou encore des erreurs humaines, tous ces paramètres ont soit isolément, soit concomitamment amené au décès de trente-cinq pilotes de Formule 1. Retraçons ces éléments au travers de différentes histoires.

[tab:Pluie]

La pluie

Nombreux sont les pilotes qui ont participé au championnat du monde de Formule 1 sur des machines privées jusque dans les années 1970. Tel était le cas de Bob Anderson. Ce pilote britannique entame sa carrière de pilote automobile à l’âge de 30 ans en 1961. Rapidement remarqué pour son talent, il est incorporé, en 1963, à l’équipe DW Racing Enterprises. Au volant d’une Lola-Climax, il dispute son premier Grand Prix à domicile à Silverstone. Il s’agira de la première des deux courses qu’il courra cette année là. L’année suivante, il reste fidèle à DW et s’engage au volant d’une Brabham motorisée par un V8 Climax. Sa saison 1964 est surtout marquée par une performance : un podium au Grand Prix d’Autriche. Cette course, marquée par la faillite générale des favoris de l’époque (Hill, Clark et Surtees abandonnent, Brabham termine à près de 30 tours), est aussi un clin d’œil tragique de l’Histoire : son vainqueur, Lorenzo Bandini, trouvera lui aussi la mort au volant d’une F1, la même année qu’Anderson.

Toujours est-il que la performance de Bob reste sans suite : les saisons se suivent et se ressemblent pour le talentueux pilote d’Hendon. La voiture est vieillissante et le quatre-cylindres Climax monté en 1966 est plus que suranné. Ne nourrissant que peu d’espoirs de remporter un jour un Grand Prix, il se battait tant bien que mal sur la piste et parvenait parfois, comme au début de la saison 1967 à Kyalami, à entrer dans les points (5ème place), au terme d’une course par élimination. Il était par ailleurs très apprécié de ses concurrents : connu pour être un bon pilote, il n’était jamais impliqué dans le moindre incident. Ses abandons étaient tous causés par des défaillances mécaniques.

Cherchant toujours à s’améliorer, même à 36 ans, pour trouver la moindre parade à la rusticité de son matériel, il effectua de nombreuses séances d’essais. Le 14 aout 1967, il prend part, sous une pluie battante, à l’une d’entre elles. Elle se déroule sur un circuit qu’il connait bien : Silverstone. Il y a couru sa première course de F1 quatre ans auparavant et aussi sa dernière course, un mois auparavant. Au bout de 5 tours sur une piste humide, il perd inexplicablement le contrôle de sa Brabham et heurte par l’arrière un poste de commissaire, se brisant le cou.

L’histoire de Bob Anderson permet de revenir brièvement sur un élément important de la course automobile : la pluie. Parmi les différents accidents mortels, il apparait clairement que cinq le sont sur une piste humide. Deux pilotes sont décédés lors d’essais, donc dans des conditions particulières de recherche de performance : avant Anderson, Harry Schell avait lui aussi été victime de Silverstone lors d’une séance d’essais en 1960 (hors F1) et plus particulièrement d’une glissade sur la boue engendrée par la pluie. Les autres sont morts en course : Shane Summers sur une Cooper à Brands Hatch (course hors championnat) en 1961, John Taylor sur une Brabham au Nürburgring en 1966 et Jo Schlesser sur une Honda à Rouen en 1968. L’ironie du sort voudra que ces deux derniers soient avant tout victimes de l’incendie suivant leur accident (voir Incendie).

La Honda de Schlesser pratiquement consumée (Rouen 1968)

Ce constat laisse donc apparaître que la probabilité d’accident mortel sous la pluie reste minime, notamment en raison de l’extrême prudence dont font preuve les pilotes dans des conditions difficiles. Prudence qui a par exemple poussé certains grands champions ou parfaits anonymes, comme Niki Lauda, Emerson Fittipaldi et Larry Perkins à Fuji en 1976 ou Alain Prost à Adélaïde en 1989, à ne pas prendre part à des courses dans des conditions jugées trop dangereuses. A contrario, une piste sèche est propice aux accidents fatals. L’utilisation maximale du potentiel de la voiture impliquant une prise de risque importante mais aussi une vitesse élevée n’admet pas la moindre faute ou la moindre défaillance.

[tab:Elément extérieur]

Un élément extérieur

Alan Stacey était un virtuose. Motard d’origine, il sévissait en trial. À 17 ans, il est malheureusement victime d’un accident grave en moto. Il y perd sa jambe droite. Condamné pour les deux roues, et pense-t-on, condamné pour le sport tout court, il décide tout de même de se tourner vers l’automobile. Ce dernier, ne pouvant piloter avec sa prothèse, crée un système dans lequel l’accélérateur se matérialisait par une poignée de gaz de moto. Il construit donc lui-même ses voitures à partir de kits commercialisés à l’époque par Lotus. Repéré en 1955 par Colin Chapman lors de courses locales dans lesquelles il brille, Stacey intègre la structure Lotus. D’abord employé en catégorie Sport, où il signe deux victoires probantes, Chapman décide de lui donner sa chance en le titularisant pour le Grand Prix de Grande-Bretagne 1958 à Aintree. Il prend part à deux nouvelles courses en 1959, sans grand succès. La saison 1960 s’annonce sous de meilleurs auspices : en plus de disposer d’une voiture a priori plus compétitive, Alan est confirmé en tant que pilote titulaire pour l’année. Les deux premiers Grands Prix ne se passent pas de la meilleure manière : il abandonne d’épuisement à Buenos Aires et sur casse moteur à Monaco. La quatrième épreuve, à Zandvoort, est l’occasion pour lui d’enfin démontrer son talent : mais alors qu’il tenait le rythme de Brabham et d’Ireland, pouvant espérer un podium, sa transmission cède en fin de course. Malchanceux, mais convaincu de ses qualités, il s’oriente vers Spa-Francorchamps avec envie.

Chapman et ses pilotes : Ireland, Clark et Stacey

Le week-end belge tourne pourtant rapidement au vinaigre, notamment chez Lotus. Lors des essais, Mike Taylor voit sa direction rompre et sa voiture se démolir dans les bois près du circuit. Blessé gravement, il mettra fin à sa carrière. C’est ensuite au tour de Stirling Moss d’échapper à la mort : en lutte pour un titre qui lui échappe depuis cinq ans, il aborde cette cinquième manche du championnat en seconde position, à seulement trois points de Bruce McLaren. Lors des essais, il perd une roue et est victime d’un violent accident. Ses deux jambes mais aussi ses chances de titre pour 1960 sont brisées.

La course démarre donc avec seulement trois pilotes Lotus sur les cinq inscrits : Jim Clark, Innes Ireland et Alan Stacey. Ce dernier, 16ème sur la grille, parvient à prendre un bon départ et pointe à la 13ème position après le premier des 36 tours du Grand Prix. Celui-ci se déroule d’ailleurs sans incident jusqu’à la mi-course. Mais l’horreur finit par resurgir au coin d’un virage : Chris Bristow, jeune espoir britannique de 22 ans disputant son quatrième Grand Prix, est en lutte avec le pilote de la Scuderia Willy Mairesse pour la 6ème place quand sa Cooper sort de piste dans une courbe relativement rapide, passe par-dessus un talus et fonce droit vers une clôture de fils barbelés entourant une prairie. Il meurt décapité.

Stacey, l’autre espoir britannique, ne va pas tarder à rejoindre son compatriote. Dans le 25ème tour, ce dernier pointe à la 6ème place, devant Clark, qu’il est parvenu à distancer. Alors qu’il aborde une courbe rapide, la Lotus tire tout droit et va s’accidenter dans un champ quelques mètres en contrebas. L’incompréhension est totale. Arrivées près de son corps, les personnes présentes sur place ne peuvent que constater son décès. Plus loin, un casque, maculé de sang et de plumes. Ireland racontera plus tard que les spectateurs situés dans la courbe virent un oiseau prendre son envol à l’approche de Stacey. Lancé à 190 km/h, il prit le volatile en pleine face et fut certainement tué sur le coup.

Enzo Ferrari a dit un jour que la malchance n’existait pas en Formule 1. Force est de constater qu’à son arrivée au paradis du sport automobile, il devait être attendu par un comité d’accueil pour le moins convaincu du contraire. Si, dans l’absolu, un problème mécanique peut être évité, certains autres types d’incidents sont plus difficilement prévisibles et beaucoup moins fréquents.

Harry Schell et Carel Godin de Beaufort ont en effet été fauchés par un « élément extérieur », mais qui aurait pu être prévisible : le premier a glissé sur de la boue un jour de pluie à Silverstone en 1960, quand le second a perdu le contrôle de sa Porsche pendant les qualifications sur le Nürburgring en 1964, certainement victime de l’huile sur la piste.

À côté de ces pilotes, Alan Stacey et Tom Pryce ne pouvaient absolument rien faire. Ce dernier, au volant de sa Shadow lors du Grand Prix d’Afrique du Sud 1977 à Kyalami, gêné par la March d’Hans-Joachim Stuck et le relief de la piste, ne vit pas l’un des deux commissaires qui traversaient la piste pour éteindre l’incendie sur la voiture de son coéquipier Renzo Zorzi dans la ligne droite et le percuta à près de 270km/h. Fraderick Janssen van Juuren tenait un extincteur : il fut projeté sur Pryce, lui arrachant le casque et le tuant sur le coup. La Shadow blanche, maculée de sang, continua sa course jusqu’au virage où elle s’encastra dans la Ligier de Jacques Laffite, mettant fin à l’accident le plus horrible de l’histoire de la Formule 1. Après la course, Stuck déclarera : « Arrivé en haut [de la bosse], j’ai entraperçu sur ma droite un commissaire qui traversait la piste en tenant un extincteur. J’ai eu beaucoup de chance et je ne sais toujours pas comment je l’ai évité. Je n’ai pas eu le temps de faire grand chose, j’ai juste réagi à l’instinct ». La chance était avec lui.

La Shadow de Pryce se dirigeant vers la Ligier de Laffite (Kyalami 1977)

[tab:Problème mécanique]

Un problème mécanique

Après avoir passé le début de sa jeune vie à bourlinguer entre voitures de tourisme, Formule Ford, Sport Proto ou encore Formule Vee, où il fut champion du très réputé championnat autrichien, Helmuth Koinigg, 25 ans, avait enfin réuni assez d’argent pour se payer un siège en F1. Un modeste baquet, certes, dans la petite équipe Scuderia Finotto, mais il avait un pied en catégorie reine. Incapable de pouvoir se qualifier lors du Grand Prix d’Autriche 1974 pour sa première apparition, il parvient tout de même à négocier avec l’écurie Surtees une voiture pour les deux dernières courses de la saison. Après une prometteuse 10ème place à Mosport Park, lui ouvrant la porte à de nouvelles possibilités pour la saison 1975, il se rend à Watkins Glen avec l’espoir de montrer une nouvelle fois de quoi il est capable. Qualifié en 23ème position et devançant son coéquipier, le Français José Dolhem, 26ème, de plus d’une seconde, il ne peut espérer grand-chose, à moins d’une hécatombe. Au septième tour, et alors qu’il se trouvait en 21ème position, il tire tout droit dans l’un des derniers virages du Glen, victime d’un problème de suspension. Dolhem, son poursuivant direct, et les commissaires présents virent donc le véhicule quitter la route à une vitesse relativement peu élevée. Les officiels s’attendaient donc à voir le jeune homme sortir de sa voiture indemne. Mais le lieu de l’accident reste désespérément calme et silencieux. Comme sur de nombreux circuits de l’époque, les rails n’étaient pas adaptés à la hauteur des voitures. La Surtees ne faisait pas exception à la règle et s’enfonça dans la barrière, décapitant son occupant.

La Surtees de Koinigg, encastrée dans les rails (Watkins Glen 1974)

L’accident dont a été victime Helmuth Koinigg est le symbole de la cause la plus fréquente des accidents mortels en F1 : le problème sur la voiture. Il est d’ailleurs possible de distinguer plusieurs catégories de problèmes.
L’incident le plus répandu est la défaillance mécanique. Stuart Lewis-Evans au Maroc en 1958 et Brian McGuire à Brands Hatch en 1977 ont tous deux été trahis par leur transmission. Giulio Cabianca, en 1961, subira le blocage de la boite de vitesse de sa Cooper sur le circuit de Modène. Gary Hocking, en 1962 sur le circuit de Westmead, sera victime d’un problème de direction sur sa Lotus, tout comme la Williams d’Ayrton Senna à Imola en 1994. Jochen Rindt perdra la vie suite à un problème de freins sur sa Lotus à Monza. Enfin, Jo Siffert, sur BRM à Brands Hatch en 1971, Peter Revson, sur Shadow à Kyalami en 1974, et Patrick Depailler, sur Alfa Romeo à Hockenheim en 1980, succomberont suite à une défaillance de suspension, à l’instar de Koinigg.

D’autres accidents ont résulté d’un problème de roue. En effet, Gerhard Mitter, en 1969, perdra l’un de ses pneus sur le Nürburgring. Quelques années plus tard, ce sont Roger Williamson, en 1973 à Zandvoort, et Mark Donohue, en 1975 sur l’Österreichring, qui seront victimes d’une crevaison. Ce nombre finalement peu élevé de décès liés à une crevaison ou un problème sur le pneu parait assez étonnant, d’autant que ce genre d’incidents parait tout aussi imprévisible qu’une défaillance mécanique et a souvent lieu au moment où la roue subit des contraintes fortes, c’est à dire à pleine vitesse.

Enfin, deux pilotes ont subi la perte d’un élément aérodynamique. Elio de Angelis, sur le Castellet en 1986, perdra l’aileron arrière de sa Brabham avant de partir en tonneaux, puis Roland Ratzenberger, à Imola en 1994, verra se détacher une partie de la moustache de sa Simtek avant de percuter violemment un mur de béton. Là encore, chiffre pour le moins inattendu que celui-ci, d’autant plus que ces appendices concentrent des pressions de l’ordre de plusieurs tonnes. Il est d’autant plus intéressant de signaler que, sans un défaut manifeste de sécurité dans le premier cas, ou un erreur de débutant dans le second, ces deux pilotes ne seraient pas morts.

La Formule 1 étant un sport mécanique, il est logique de constater que près de la moitié des pilotes morts y ont perdu la vie en raison d’un problème mécanique. Aussi imprévisible que difficilement rattrapable, la défaillance est l’imprévu de taille qui contraint, dans le meilleur des cas, le pilote à l’abandon. Mais quand celle-ci intervient à haute vitesse, il est souvent trop tard pour réagir. La F1 appelant sans cesse à la prise de risque, notamment en matière mécanique ou aérodynamique, les pièces n’étaient pas forcément conçues pour durer. Certains pilotes ont essuyé les plâtres.

[tab:Incendie]

Un incendie

Journée ensoleillée que ce 29 juillet 1973. Le ciel bleu de Zandvoort donnait certainement un sentiment d’excitation et de plaisir à Roger Williamson. Lui, le novice, propulsé en F1 par son mentor et ami, Tom Wheatcroft, lui qui brillait dans les catégories inférieures, espérait pouvoir enfin passer le premier virage d’une course de Formule 1. En effet, déjà présent lors du précédent Grand Prix, à Silverstone, il n’a pu échapper au carambolage du départ causé par une sortie un peu large de Jody Scheckter. Cette fois Roger et son ami, David Purley, équipiers chez March, espèrent finir la course. Respectivement 18ème et 21ème sur la grille, les deux pilotes subissent comme l’ensemble des partants, le retard du départ de la course. Au bout de 13 minutes d’attente, la voila enfin lancée. Dans le premier tour, Williamson gagne deux places et pointe à la 16ème position quand Purley se retrouve 18ème. Deux tours plus tard, et à la faveur d’un dépassement sur Graham Hill, ce dernier finit par se trouver dans les échappements de son ami, alors 13ème… 13. Ce chiffre, Roger Williamson le craint. Tom Wheatcroft racontera plus tard que la March du pilote britannique arborait ce chiffre avant qu’il ne demande à ce qu’il lui soit retiré à la dernière minute. Toujours est-il que les deux pilotes se suivent et Roger peut enfin savourer le plaisir de la conduite d’une F1 pendant une course.

Mais le destin finit par le rattraper quand, au 7ème tour, l’un des pneus de la March éclate. Envoyée contre les rails de sécurité, la voiture se retourne puis traverse la piste sur une centaine de mètres avant de s’immobiliser, en feu, sur le côté droit du circuit. Derrière lui, Purley a stoppé sa monoplace. Plus de Grand Prix qui tienne, il traverse la piste et court vers l’épave en flamme. Arrivé près d’elle, il entend Williamson crier. Purley gesticule, invective les commissaires, les pilotes, toute personne pouvant l’aider à faire sortir son ami de ce brasier. Mais personne ne semble réagir, personne ne semble comprendre. Furieux devant tant d’inertie, il arrache le seul extincteur valide des mains d’un commissaire, et tente d’éteindre les flammes. Malheureusement, plus il pulvérise le véhicule, plus les flammes gagnent en intensité et moins Roger se fait entendre. Désemparé, il tente une dernière fois de retourner la March, seul… Désespérément seul. Aucun pilote ne s’arrêtera, certains ne ralentissant même pas à l’approche du virage. Mais surtout, aucun commissaire n’était préparé pour ce genre d’accident. Finalement, il se résout à tourner le dos à la voiture de son ami, certainement déjà mort, asphyxié. Titubant, marchant dangereusement sur la piste, rejetant le moindre geste de compassion de ceux qui n’ont rien fait pour l’aider, il regarde une dernière fois en arrière, l’ami qu’il vient de perdre.

Purley en pleine détresse, dos au brasier (Zandvoort 1973)

Le cruel épilogue de la vie Roger Williamson est loin d’être un cas isolé dans l’histoire de la Formule 1. Il est possible de dénombrer huit pilotes qui ont été victimes de l’incendie de leur véhicule. Cette affirmation se doit tout de même d’être nuancée et précisée. En effet, si les flammes ou la fumée ont en effet été la cause de la mort de ces pilotes, la raison de l’accident n’est presque jamais liée au feu.

En premier lieu, la conception des véhicules a pu être en cause. En 1968 à Rouen, Jo Schlesser sera victime du matériau composant le châssis de sa Honda, le magnésium, qui consumera entièrement son véhicule en quelques minutes, provoquant des flammes de près de dix mètres de haut. Quelques années plus tard, la De Tomaso de Piers Courage, déjà mort au moment du départ des flammes, composée du même métal dégagera une chaleur si forte qu’elle brûlera quelques arbres alentours. Symbole de la folle course à la performance des années 1960-1970, le châssis en magnésium était totalement inadapté aux risques de la course.

En second lieu, c’est l’absence ou l’incompétence des secours qui a coûté la vie à certains pilotes. Elio de Angelis en est le parfait exemple. Ce dernier participait à une session d’essais privés sur le circuit du Castellet en mai 1986, quand sa Brabham, « révolutionnaire » mais extrêmement difficile à conduire, perdit son aileron arrière dans une portion rapide. Devenue incontrôlable, la voiture quitta la piste et partit en tonneaux. À cette vitesse, la Brabham multiplia les culbutes et s’immobilisa finalement sur l’arceau de sécurité bien au delà des barrières. Blessé mais conscient, de Angelis ne put sortir lui-même de sa monoplace. La situation n’aurait pas été dramatique si des commissaires avaient été présents sur le tracé. Or, ce n’est pas le cas, et le véhicule prit feu. Arrivés successivement sur les lieux de l’accident, Alain Prost, Nigel Mansell et Alan Jones ne parvinrent pas à dégager l’Italien de l’épave. Finalement extrait du cockpit inconscient, il décédera à l’hôpital de la Timone à Marseille le lendemain, asphyxié. Avant lui, Lorenzo Bandini perdit la vie à Monaco en 1967 après l’embrasement de sa Ferrari dont il ne fut sorti qu’au bout de huit minutes par un spectateur. Roger Williamson, enfin, fut victime nous l’avons vu à la fois de l’incompétence des commissaires et de la défectuosité du matériel de secours.

En dernier lieu, certains pilotes n’avaient aucune chance de survivre. Ce fut le cas pour Stuart Lewis-Evans brulé à mort après l’accident de sa Vanwall durant le Grand Prix du Maroc 1958, pour John Taylor qui a succombé à ses brûlures après sa collision avec Ickx lors du Grand Prix d’Allemagne 1966 ou encore pour le dandy Jo Siffert, qui était déjà inconscient avant de périr asphyxié dans l’épave de sa BRM à Brands Hatch en 1971, lors d’une épreuve hors-championnat destinée à fêter le second titre de Jackie Stewart…

La BRM de Siffert prendra feu quelques instant après s'être retournée (Brands Hatch 1971)

À côté d’eux, certains pilotes comme Jacky Ickx, Jackie Olivier, Niki Lauda, Gerhard Berger, Jos Verstappen ou Eddie Irvine ont échappé aux flammes, souvent par chance, mais aussi et surtout grâce à l’amélioration des conditions de sécurité et de la préparation du personnel chargé d’intervenir auprès des accidents.

[tab:Collision]

Une collision

Avec ses cheveux bouclés ébouriffés et ses lunettes de vue immenses, Ricardo Paletti n’avait pas le look d’un jeune premier de la Formule 1. Malgré tout, à 23 ans, après avoir pris son destin en main et gravi plutôt vite les échelons, à coup de performances remarquables de la F3 à la F2 puis grâce à l’argent des sponsors de la F2 à la F1, le voila pilote dans la catégorie reine, au volant d’une modeste Osella. En cette saison 1982, la voiture n’est pas très bonne et Ricardo manque de se qualifier pour les trois premières courses de la saison. Bien aidé par le boycott d’une partie des membres de la FOCA, il parvient à prendre le départ du Grand Prix de Saint-Marin 1982, qui ne compte que 14 partants. Point de départ de sa carrière en F1, il sera aussi le crépuscule d’un certain Gilles Villeneuve, dans une course marquée par une lutte fratricide avec Didier Pironi. Ricardo a sans doute pu suivre cela, puisque dès le septième tour un problème de suspension le contraint à l’abandon. À Zolder, Paletti est de nouveau spectateur lorsque Villeneuve se tue en qualification. Il ne se qualifiera pas non plus à Monaco. À Detroit, en revanche, il parvient enfin à rentrer sur une grille complète de F1. Malheureusement, il commet une erreur lors du warm up le dimanche matin et sort de la piste. Sa voiture irréparable pour la course, il doit déclarer forfait.

Arrive alors l’épreuve canadienne, le 13 juin 1982, sur le circuit de Montréal. Ironie du sort, ce dernier a été immédiatement renommé « Circuit Gilles-Villeneuve » après la mort de l’idole quelques semaines plus tôt. L’atmosphère est lourde en ce dimanche. Ricardo, lui, peut être heureux : il s’est qualifié et n’a commis aucune erreur au warm up. Il s’élancera de la 24ème position. Pironi a réalisé le meilleur temps. Lui, le dernier adversaire du grand Gilles, part en pôle, devant le public canadien.

Le tour de formation s’achève, Didier se place sur la première place. Le directeur de course va malheureusement attendre trop longtemps avant de lâcher les bolides : le moteur de la Ferrari du Français surchauffe et s’arrête. Le départ est enfin donné, Pironi secoue frénétiquement les bras le plus haut possible pour prévenir les autres concurrents. Un peu plus loin derrière, Paletti a pris un bon départ, il est dans l’aspiration de la March de Raul Boesel. Concentré sur ses rapports et la voiture du Brésilien, il est surpris quand ce dernier s’écarte soudain de la trajectoire. La March percute légèrement la Ferrari de Pironi et s’en va créer le trouble dans la queue de peloton. Paletti lui, n’aura pas la chance d’éviter le choc frontal. L’Osella s’encastre dans la voiture rouge. Le pilote de la Scuderia, parti en tête-à-queue suite à la collision, est le premier auprès de la voiture de l’Italien, visiblement inconscient. Le Français constate que l’avant est totalement détruit et essaie de dégager Ricardo. En voulant vérifier son état de santé, l’un des marshalls provoque une étincelle qui fait s’enflammer la voiture. L’incendie est finalement maîtrisé en quelques instants par les commissaires et les pompiers, aidés par Didier Pironi. Mais le mal est déjà fait. L’impact à plus de 160 km/h a blessé mortellement Paletti qui décédera une heure après.

Au fond, l'Osella de Paletti vient de percuter la Ferrari de Pironi (Montréal 1982)

La mort de Ricardo Paletti peut être considérée comme le symbole des risques encourus par les pilotes de Formule 1 lors de collisions avec d’autres concurrents. Malgré tout, dans un sport où les pilotes s’affrontent directement en piste, « seulement » cinq d’entre eux ont trouvé la mort suite à un contact. Cette statistique parait relativement faible, surtout vis-à-vis du nombre réels d’incidents. C’est en effet un chiffre étonnant démontrant deux choses : la grande habileté des concurrents pour éviter au maximum les accrochages et surtout la chance qu’ont eu certains pilotes d’échapper à un destin funeste. Gilles Villeneuve, par exemple, à Fuji en 1977, décollera sur la March de Ronnie Peterson avant de venir s’écraser dans le public. Lui n’aura rien, mais certains spectateurs ne pourront plus en dire autant. Ces deux pilotes ont d’ailleurs tous deux connus une mort liée à une collision.

Ronnie Peterson d’abord, sera pris dans l’un des plus impressionnants carambolages de l’histoire de la Formule 1 à Monza en 1978. En effet, alors que certaines voitures ne sont pas encore arrêtées en fond de grille, le départ est donné, créant un vaste resserrement au freinage du premier virage. James Hunt, légèrement gêné par Ricardo Patrese (lui-même voulant éviter une autre voiture), fait un écart à gauche et touche Peterson, l’envoyant dans le rail et créant la panique dans le peloton. Le réservoir de la Lotus est rempli et la voiture s’enflamme. Extirpé du brasier par Hunt, Regazzoni, Depailler et un commissaire de piste, le Suédois s’en tire bien, pense-t-on, avec deux jambes fracturées, quand l’inquiétude se porte plutôt sur Brambilla, touché au crane par une roue. À la suite de son opération des jambes, Ronnie sera victime d’une embolie graisseuse dans la nuit et décédera d’une insuffisance rénale.

Quant à Villeneuve, il perd la vie à Zandvoort en 1982 quand, lors des qualifications, suite à une incompréhension, il percute la March de Jochen Mass qui s’était justement écarté pour laisser passer le Québécois. Le choc est violent, Villeneuve se rompt les cervicales et son harnais de sécurité lâche. L’avant de la Ferrari totalement détruit dans une série de tonneaux effroyables et sans aucune attache, Gilles est éjecté de son véhicule sous les yeux de Mass. Maintenu artificiellement en vie à l’hôpital, il mourra dans la soirée.

À côté de ces deux pilotes, en 1961, Wolfgang von Trips sur Ferrari, à la lutte pour le titre avec son coéquipier et ami Phil Hill, se tua après un accrochage avec Jim Clark, provoquant la mort de 14 spectateurs, à Monza. De même, John Taylor, succombera à l’incendie de sa Brabham, suite à une collision avec Jacky Ickx au Grand Prix d’Allemagne 1966 sur le Nürburgring. Enfin, le dernier pilote mort dans une Formule 1 à la suite d’un accident est bien sur Ricardo Paletti.

Il est d’ailleurs à noter que le départ, considéré comme le moment le plus risqué d’une course de Formule 1, n’a pas été le cadre de beaucoup d’accidents mortels : seuls Peterson et Paletti ont perdu la vie lors de cette phase, bien involontairement condamnés par les errements du directeur de course. Malgré tout, il faut relativiser ce chiffre : certains incidents, aussi bien en course qu’au départ, auraient pu être beaucoup plus dangereux sans une part de chance (Silverstone 1973, Österreichring 1987, Castellet 1989…) et une amélioration de la sécurité (Spa 1998, Hockenheim 2001, Canada 2007).

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Une erreur

Coéquipier de Jackie Stewart depuis maintenant quatre saisons, François Cevert voue une très grande admiration au pilote écossais. Ce dernier en est conscient. Il déclarera plus tard que Cevert aurait sans doute été en mesure de lui disputer la victoire plus souvent en cette année 1973, s’il n’avait tenu son rôle d’équipier modèle tant à cœur. Le titre assuré et la retraite de Stewart bientôt officialisée, François aborde le Grand Prix des États-Unis avec la ferme intention de démontrer à tous, et surtout à un certain Jody Scheckter, annoncé comme son futur coéquipier et avec qui il n’entretient pas de très bons rapports, qu’il a l’étoffe d’un grand. Personne n’en doute : les experts font déjà du Français l’un des favoris de la saison 1974. Lors des qualifications, il est le plus rapide des pilotes Tyrrell. Le circuit de Watkins Glen, il le connait bien. Il est le théâtre de sa seule victoire en Grand Prix, deux ans auparavant. Ainsi, et alors que la séance va bientôt se terminer, il souhaite retenter sa chance pour s’emparer de la pole. Après avoir enfilé son casque, François, comme à son habitude, salue Helen Stewart et baisse sa visière avant de lui envoyer un dernier baiser. Quelques instants plus tard, le paddock frémit. Il est arrivé quelque chose, une voiture s’est accidentée dans les Esses. Dans les stands, Colin Chapman se rue vers Tyrrell pour savoir qui est impliqué. Stewart, qui vient juste d’arriver, informe ses mécaniciens de l’identité du malheureux. Un ingénieur de chez Lotus stoppe son patron et lui apprend qu’il s’agit de Cevert et que l’accident est très grave. Chapman se retourne vers Stewart qui, visiblement dévasté, quitte sa voiture pour ne jamais y remonter. Le patron de Lotus revient vers son box, prononçant de manière lasse : « Cevert, bloody hell… »

L'épave de la Tyrrell de Cevert venant de s'immobiliser (Watkins Glen 1973)

Si les circonstances du drame restent floues, il semble bien que le Français ait mal apprécié la trajectoire et qu’il se soit déporté trop à gauche avant l’entrée des Esses. Sa monoplace, très instable à plein régime, est devenue incontrôlable, le projetant de part et d’autre de la piste, sur les rails, entraînant sa mort instantanée. Arrivé auprès de l’épave, Jackie Stewart s’aperçut que le corps du Français était encore à l’intérieur. Il dira plus tard : « Ils l’ont laissé là car il était clair que François était mort ». Ce dernier explique d’ailleurs l’accident de son coéquipier par le trop grand risque que Cevert prenait en passant les Esses en quatrième vitesse, au maximum des capacités du moteur Cosworth, rendant la voiture extrêmement nerveuse, quand l’Écossais optait pour le passage en cinquième vitesse de cette portion, certes au plus bas du rendement du moteur, mais avec une voiture moins dangereuse.

Comme dans toute autre discipline, l’erreur existe en sport automobile. À la différence qu’elle peut avoir de tragiques conséquences. Cela reste relativement rare puisque six pilotes ont trouvé la mort suite à une erreur. Trois d’entre eux ont d’ailleurs une particularité, puisqu’ils sont les trois premiers morts de la F1. En effet, Onofre Marimon, au volant de sa Maserati, manquera un virage du Nürburgring lors des essais du Grand Prix d’Allemagne en tentant de se qualifier. Luigi Musso, lui, sera victime d’une trop grande vitesse à l’abord d’un des virages du circuit de Reims en 1958 alors qu’il tentait de rattraper Mike Hawthorn. La même année, Peter Collins subira lui aussi l’impitoyable loi de l' »Enfer vert » et de Mike Hawthorn quand, tentant d’échapper au pilote britannique, il négocia mal un virage et percuta un arbre, se blessant mortellement. En 1982, c’est le grand Gilles Villeneuve qui est terrassé par une collision brutale avec la March de Mass alors qu’il était inexplicablement lancé à pleine vitesse… dans un tour de décélération, dans le contexte tendu de sa brouille avec Pironi.

L'épave de la Ferrari de Villeneuve (Zolder 1982)

Le dernier mort en catégorie reine en raison d’une erreur est Roland Ratzenberger. L’Autrichien, à la différence des conducteurs cités précédemment a surtout été victime de son manque d’expérience. Après une sortie lors d’un tour de lancement en qualification du Grand Prix de Saint-Marin 1994 à Imola, celui-ci n’est pas rentré faire vérifier l’état de sa voiture. L’aileron avant légèrement abîmé se décrocha à l’approche du virage Gilles-Villeneuve et envoya la Simtek dans le mur à plus de 300 km/h tuant son occupant sur le coup.

L’erreur est constamment présente en F1, mais certaines ont eu des répercussions plus importantes. Il reste que, malgré tout, ce chiffre est à prendre avec prudence : ne sont traitées ici que les morts qui sont la résultante d’une erreur commise par le défunt lui-même. Nombre d’incidents mortels ont sans doute été causés par les erreurs des autres pilotes, fussent-elles involontaires : Ronnie Peterson a été victime indirecte de l’écart de James Hunt, quand Harry Schell a sans doute été surpris par le dépassement un peu cavalier de Jack Brabham lors d’essais privés.

De même, certains décès ont été causés par des erreurs extérieures qui peuvent aller de l’imprudence des commissaires (Tom Pryce), à la négligence du starter (Ronnie Peterson, Ricardo Paletti) en passant par des erreurs de la part des écuries qui sont difficilement répertoriables.

Enfin, l’appréciation de l’erreur reste un exercice subjectif, forcément sujet à caution.

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Conclusion

Au-delà des différentes causes énumérées, et qui sont soit des causes de mort, soit des causes d’accidents, un certain nombre de paramètres peuvent être mis en balance, en dehors de la sécurité « générale » plus que précaire qui est évidemment la principale raison de la mort des pilotes.

Il est par exemple possible de lier la mort à l’écurie à laquelle le pilote appartenait. En effet, les plus éminents spécialistes de la question arguent toujours des risques que représentent les petites structures, jugées moins compétentes et donc moins sures. Or, l’analyse des chiffres présente une réalité bien différente. Il est possible de recenser 26 morts sur 35 parmi des écuries expérimentées : Ferrari, Lotus (5 morts chacune), Cooper (4 morts), Brabham (3 morts), Alfa Romeo, BMW, BRM, Honda, Maserati, Porsche, Tyrrell, Vanwall et Williams (1 mort). Cet état de fait s’explique tout bonnement par la présence, au sein de ces écuries, des meilleurs ingénieurs, des meilleurs pilotes mais surtout des voitures de pointe. Dans un sport où la vitesse est reine, les voitures les plus performantes, pilotées par les conducteurs les plus rapides sont de véritables dangers une fois le contrôle perdu. Certaines équipes ont même été marquées par une véritable culture de la performance et du développement, comme Ferrari ou Lotus, qui a pu se traduire par une considération des risques et de la sécurité des pilotes minimale.

Dans le même ordre d’idée, peut-on conclure que la mort en F1 est une question d’expérience ? L’expérience est un facteur difficilement quantifiable, particulièrement en Formule 1 où chaque décennie à vu le nombre moyen de courses par saison augmenter. Reste que l’on peut raisonnablement penser que 3 saisons pleines en F1 (de 25 à 35 courses suivant les époques) peuvent suffire à faire passer un pilote du statut de débutant à celui d’habitué des circuits. Dans ces conditions, la moitié des morts de la F1 pouvaient être considérés comme tel. A priori, la grande faucheuse n’est pas plus indulgente avec les conducteurs expérimentés.

Pour finir sur ces analyses plus générales, comment ne pas parler des circuits ? Symboles des faibles considérations pour la sécurité qui ont marqué les 40 premières années de ce sport, certains sont entrés dans la légende par leur difficulté et par leur dangerosité. C’est bien évidemment le cas du Nürburgring version Nordschleife qui, avant 1976 et l’accident non-mortel de Lauda, a été le théâtre de la mort de cinq pilotes. À côté, Monza, Brands Hatch, Silverstone ou Imola ont aussi vu plusieurs pilotes mourir. Ces circuits sont souvent considérés comme des tracés mythiques du sport automobile et la Formule 1 en particulier. Sans doute faut-il y voir un lien de cause à effet.

Hill et Hulme tentant de maîtriser le brasier dont Revson vient d'être extrait (Kyalami 1974)

Toujours est-il que la Formule 1 est un des rares sports qui magnifient la mort, qui donnent l’occasion pour ses pratiquants de danser, de flirter avec leur destin. Senna a dit un jour : « Avant de monter dans la voiture, je sais que je peux me tuer. Mais le danger a quelque chose d’attractif dans ce sport. Le bon équilibre, c’est de savoir jusqu’où jouer avec. Il n’existe pas de compromis avec le danger ».

Conscients de cela, les hommes qui s’engouffraient dans des « cercueils roulants » connaissaient le risque et vivaient pour ce risque, aussi cruelle et brutale pouvait être la mort. Lorsque celle-ci survenait, et ce jusque dans les années 1980, elle était tolérée puisque inhérente à la course automobile. Mais la popularisation de la F1 et son développement considérable ont entraîné une modification de la perception morale de ce sport. Dès lors, la sécurité a suivi et le mouvement engagé isolément, et dans l’adversité, par un pilote comme Stewart dans les années 1970 a fini par devenir une volonté commune de tendre vers plus de sûreté. Roland Ratzenberger et Ayrton Senna ont fini de rappeler au monde de la F1 et au public que, dès que l’effort sécuritaire est mis de côté, la mort n’est jamais bien loin que l’on soit un grand Champion ou un nouveau venu.

Depuis 16 ans, la F1 n’a pas été endeuillée par la perte de l’un de ses artistes, bien que la vitesse et les accidents soient monnaie courante, preuve que la sécurité est aujourd’hui la première priorité du monde de la course. Malgré cela, cet article est l’occasion de rappeler que des spectateurs et des commissaires ont aussi perdu la vie durant des week-ends de course, notamment à Monza en 2000 ou à Melbourne en 2001, payant le prix de l’absence de sécurité alors qu’eux n’en avaient pas forcément conscience.

9 Comments

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