Départs arrêtés en F1 : Le pari du spectacle, le risque du chaos ?

S’emparer de sa plume AZERTY pour défendre et même appuyer vivement l’introduction des départs arrêtés après safety car en F1 pour 2015, c’est inévitablement ressentir sur sa nuque le souffle chaud des tenants d’une « certaine idée » de la discipline reine.

Mon sentiment sur cette question est que l’on condamne un peu rapidement cette mesure, comme si l’on assistait à l’instauration d’une nouvelle règle artificielle qui dénature not’ bonne vieille F1. Or, si l’on prend certains exemples, comme le doublement des points ou la mise en place d’une plaque de titane sous les voitures pour créer des étincelles, les départs arrêtés n’entrent pas dans cette catégorie. Ils sont une façon – inhabituelle en F1, il est vrai – de faire redémarrer une course qui, de toute façon, a été neutralisée. C’est la modification d’une procédure, en estimant qu’un départ arrêté favorise le spectacle, mais ce n’est pas aussi incongru que de dire : « Les étincelles rendent les courses plus spectaculaires » ou « Doubler les points de la dernière course empêchera que la saison soit pliée trop tôt ».

Injustice, quelle injustice ?

Beaucoup, à commencer par les pilotes – Daniel Ricciardo ou Nico Rosberg notamment – pointent l’injustice d’une telle situation. Le leader perd son avance et, en plus, peut rater son départ et perdre des places. Bien sûr, mais j’ai toujours trouvé, à titre personnel, que les restarts lancés étaient eux-mêmes une forme d’injustice : un concurrent – le leader de la course et donc de la meute, en file indienne – possède un avantage immense sur les autres, en ce qu’il peut décider du moment où il va réaccélérer. Et même avec le meilleur temps de réaction possible, son dauphin ne peut qu’espérer limiter les dégâts. Au fil des années, récemment, des modifications ont été intégrées qui ont pu atténuer certains aspects pouvant poser problème : la possibilité pour les retardataires (qui formaient souvent une sécurité supplémentaire pour le leader) de se dédoubler, l’obligation pour le leader de maintenir une certaine distance la voiture de sécurité… Mais tout de même, le constat est que l’on ressort bien souvent avec un statut quo.

Et là encore, ce dernier propos peut apparaître étonnant et même légitimant la forme d’injustice que constitue le restart. Mais ne nous voilons pas la face : aujourd’hui, en sport automobile, sur circuit, la voiture de sécurité constitue – en plus de sa mission première et prioritaire, la sécurité – un évènement qui va relancer la course (à l’extrême en NASCAR, par exemple). Accepter l’intervention de la voiture de sécurité, c’est déjà accepter l’injustice du resserrement des écarts à laquelle on ajoute – dans ce qui ressemble à une compensation de fait – l’injustice de voir un seul pilote capable de décider quand repartir. Et que dire, à ce moment-là de la procédure de drapeau rouge qui a longtemps arrêté une course pour la faire reprendre par un départ… arrêté.

Les départs arrêtés après voiture de sécurité constituent, à mon sens, un processus moins injuste en ce qu’il permet à tous les pilotes et écuries de pouvoir tirer, à leur niveau, leur épingle du jeu. En effet, le départ n’est plus le fait d’un seul homme mais celui d’une procédure cadrée et qui est la même pour tous. Oui, le leader du moment peut perdre des places, tout comme le poleman peut sortir du premier virage en 4ème position malgré un tour de qualification d’anthologie qui n’a souffert d’aucune contestation : demande-t-on, alors, à ce que les courses débutent par un départ lancé en file indienne ? Non. La course est ainsi faite : personne n’est à l’abri d’une erreur, d’un problème ou même… d’un bon départ.

Si l’on voulait gommer la moindre forme d’injustice, il pourrait être intéressant d’envisager une slow zone, comme il a été possible de le voir lors des 24h du Mans, qui instaure une vitesse limite dans une zone définie dans laquelle un incident s’est déroulé et laisse le reste du tracé sous régime de drapeau vert. J’imagine cependant qu’un tel processus est plus difficilement applicable sur un tracé long de 4 ou 5km que sur un circuit qui en fait pratiquement une quinzaine.

Le départ, une phase à risques, mais sans plus

Outre l’injustice, le seul véritable argument des « contre » qui m’apparait pleinement valable est celui de la sécurité. Oui, le départ arrêté est le moment le plus sujet à risques dans une course de F1, oui d’autres départs arrêtés peuvent multiplier les chances d’incidents (fatigue des hommes et des mécaniques, renouvellement des enjeux), oui faire redémarrer une course neutralisée pour des raisons de sécurité par une phase à risque peut être déstabilisant. Mais, dans les faits, si l’on prend la Formule 1 depuis le début de l’ère « pelle à tarte », c’est-à-dire la saison 2009, sur 102 Grands Prix, 19 ont vu l’intervention de la voiture de sécurité pour des incidents dans les deux premiers tours. Parmi ces 19 Safety Car, 3 l’ont été pour des raisons liées au temps pluvieux (Chine 2009, Corée 2010 et Canada 2011).

En réalité, sur 102 courses, ce sont 16 phases de départ qui ont vu un accident suffisamment grave pour motiver l’intervention d’une voiture de sécurité. A côté de cela, sur la même période, la safety car a été déployée à 49 reprises en dehors des deux premières boucles ; et la gravité de certains incidents, en course, n’a rien à envier à celle d’incidents au départ. Bref, si les risques existent, ils ne m’apparaissent pas particulièrement plus importants que le risque normal lié à la course automobile.

En revanche, en regardant les statistiques sur les 5 dernières années, le constat est clair : en appliquant la mesure adoptée par le Conseil Mondial du Sport automobile – qui est pour le moment plus un principe général qu’une véritable règle précise – en 102 courses, ce ne sont pas moins d’une quarantaine de départs supplémentaires qui auraient pu être donnés. Ce chiffre est loin d’être négligeable – il est même énorme – et implique forcément un travail en amont des acteurs de la discipline.

Sensibiliser les officiels… et les pilotes

Sans rentrer dans les questions d’organisation de ces nouveaux départs, qui m’apparaissent être les plus facilement solubles (même si elles pourront être nombreuses), je pense que, sur le fond, l’introduction des départs arrêtés après safety car, si elle est faite intelligemment, sera bénéfique pour la F1, en favorisant le spectacle et la dramaturgie. La FIA a d’ores-et-déjà annoncé qu’il n’y aurait pas de nouveau départ arrêté si la voiture de sécurité intervient dans les deux tours qui suivent le départ normal ou un nouveau départ ou s’il ne reste que 5 tours ou moins en fin de GP. Ces restrictions règlementaires sont légitimes et essentielles.

Un certain nombre de points restent toutefois à définir qui permettront de mieux cerner les contours de cette règle. L’interdiction des départs arrêtés s’appliquera-t-elle pour les incidents survenus dans les deux tours qui suivront un départ lancé en file indienne ? Quid des cas dans lesquelles une voiture de sécurité intervient pour des raisons météorologiques ?

Quoiqu’il en soit, dans la pratique, cette nouvelle procédure devra inciter les officiels à s’interroger sur l’utilisation de la voiture de sécurité qui, plus encore qu’aujourd’hui, ne sera plus un acte anodin : il s’agira d’un temps très fort, inédit en F1, mais surtout d’une phase qui peut potentiellement déboucher sur une course totalement différente, qu’importe ce qui arrive durant ce nouvel envol. Peut-être, pour accompagner cette nouveauté, faudra-t-il se pencher plus avant sur les raisons de déployer la Safety Car, alors que depuis son introduction formelle dans les règlements de la F1, en 1993, ses interventions ont crû.

Peut-être aussi faudra-t-il repenser l’articulation entre le déploiement de la voiture de sécurité et la procédure de drapeau rouge. En effet, dans certains cas, les commissaires n’auront-ils pas intérêt à directement arrêter la course ou, au contraire, à faire durer une voiture de sécurité ? Que penser de l’évolution règlementaire de 2005 qui a imposé, après chaque drapeau rouge, un départ sous régime de voiture de sécurité ? Ne faudra-t-il pas revenir sur ce point pour harmoniser les procédures sous peine de voir une multiplication des interruptions de course là où un simple Safety Car aurait suffi ?

Cette nouvelle procédure devra aussi inciter les pilotes à une certaine retenue. Ces derniers ne peuvent pas indéfiniment passer entre les gouttes et être déresponsabilisés alors que la bonne tenue des phases de départ sera, en grande partie, de leur propre fait. Les commissaires devront sévir face au moindre comportement dangereux tout simplement parce qu’il pourra y avoir, potentiellement, 6, 7 ou 8 départs supplémentaires par saison.

Lancer la Safety Car en piste sera, plus encore, prendre le pari du spectacle et prendre le risque du chaos.

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