Canal+ : le bilan des deux ans

Le 14 février 2013, la F1 française a vécu une révolution après l’annonce que Canal+ serait, pour 3 saisons, le diffuseur exclusif du Championnat du Monde en France, après plus de 20 ans en clair sur TF1. Deux ans plus tard presque jour pour jour, examinons ce que la chaîne cryptée a fait de ses droits et voyons la situation avant la dernière année de la Quatre, qui sera marquée par un nouvel appel d’offres de la FOM.

40€, le prix mensuel du désintérêt du public

Ne nous attardons pas de trop, pour commencer, sur la polémique qui a fait suite à cette annonce. La Formule 1 n’est plus sur un canal gratuit pour de multiples raisons, entre un désintérêt cocardier faute de Grand Prix de France et d’acteurs nationaux – pilote ou écurie – en position de jouer la gagne, et les méfaits d’une couverture de plus en plus minimaliste de TF1. Il est évidemment dommage que tout un chacun ne puisse plus regarder gratuitement les Grands Prix, mais il faut comprendre que cela découle de la popularité plus faible des sports mécaniques en France par rapport au football, au rugby, ou au tennis. Mettons-nous aussi à la place de TF1, qui dépensait une fortune par rapport aux audiences générées, quand la rediffusion à moindre coût d’une série américaine rassemble un public plus divers et presque aussi nombreux. Avec le recul, il est même surprenant que la Une ait persisté jusqu’en 2012.

Et ce déficit de popularité se voit aussi dans la programmation de Canal+ : quand les événements le dictent, la place est laissée, de manière compréhensible, à d’autres sports. Ainsi, si les moyens humains et techniques dépêchés sur place sont identiques quel que soit le Grand Prix, on ne peut pas dire que chaque course ait la même exposition, quelques séances d’essais libres étant parfois diffusées en différé ou reléguées sur Canal+ Décalé, qui n’est par exemple pas accessible sur les canaux hertziens. De même, en étant tatillon, les quelques Grands Prix programmés sur Canal+ Sport n’y sont pas en HD.

Malgré tout, même si les 40€ mensuels – hors promotions – sont un lourd prix à payer pour peu qu’on ne soit fan que de F1, difficile de ne pas évoquer la diffusion sans page de publicité – totalement standard sur les chaînes Canal+ en dehors des plages en clair. Qu’il était rageant de manquer une dizaine de minutes de chaque course ! Il est bien évident qu’il était hors de question pour une chaîne gratuite de tourner pendant plus d’1h30 sans publicité, mais il est impossible de ne pas souligner le confort que cela représente pour nous autres téléspectateurs.

Une couverture soignée malgré quelques travers

Sans être exempte de défauts, la couverture des Grands Prix est globalement satisfaisante. Bon point, les essais libres, moments peu captivants en général, même pour les plus passionnés, sont le théâtre d’agréables décrochages de l’action en piste, avec les reporters dans les stands et le paddock. Les interventions de Franck Montagny lui ressemblent : malgré le coté un peu brouillon et désordonné, le regard qu’il apporte en tant qu’ancien pilote d’essais est particulièrement intéressant, et pas seulement sur les questions techniques. On pourra cependant regretter que, trop souvent, on ait droit à des images d’ailerons avant, ou qu’un élément soit faussement pointé comme inédit. Quant à Laurie Delhostal et Laurent Dupin, ils nous font découvrir de manière sympathique d’autres aspects, que ce soit un visage d’une formule de promotion, les infrastructures de Météo France ou encore le travail des pétroliers sur les Grands Prix.

Pendant ce temps, en cabine de commentaires, Julien Fébreau et Jacques Villeneuve profitent des périodes creuses en piste pour revenir sur l’actualité du paddock, ce qui laisse parfois place à des débats intéressants. Les commentaires, de manière générale, sont pourtant contrastés. Le franc-parler et les prises de position générales sur la F1 de Jacques Villeneuve lui appartiennent, et cet article n’est pas le lieu pour les lui reprocher. Soulignons tout de même les quelques systématismes auprès de certains pilotes (Pérez à une époque, Magnussen par la suite) lorsqu’ils sont impliqués dans un incident, et une propension à émettre des jugements définitifs prématurés, alors que tous les éléments ne sont pas encore à disposition pour juger et qu’un peu de conditionnel ne ferait pas de mal. En cela, le rôle de consultant en direct est un exercice périlleux que le fils de Gilles n’a pas cerné, puisqu’il s’agit davantage d’éclairer le téléspectateur en évoquant le champ des possibles plutôt que de se risquer à y piocher une seule éventualité qui a des chances d’être incorrecte.

Mais surtout, il n’est pas acceptable que le Champion du Monde 1997 ne prépare pas correctement, manifestement, ses interventions. Le Québécois sort régulièrement de ses tiroirs des faits inexacts, approximatifs ou non vérifiés. Il est également arrivé qu’il bloque pendant un long moment, en compagnie de Julien Fébreau, sur des points de règlement qui auraient pourtant dû être assimilés dès le début de saison (l’application des pénalités de 5 secondes par exemple). Pour ça il n’y a pas de secret : du travail, du travail, et encore du travail, et des fiches si besoin – les assistants ne doivent pas manquer chez Canal+. Le contraste lors des trop rares piges d’Alain Prost, mieux informé, plus mesuré et faisant davantage preuve de pédagogie, se fait largement au détriment de l’ancien pilote BAR.

Julien Fébreau, quant à lui, en dehors des moments où le camarade Villeneuve l’entraîne dans ses travers, s’en sort bien. Le dosage dans l’enthousiasme du récit est plutôt cohérent avec l’action en piste : il ne « sur-vend » pas les événements, comme auraient pu le provoquer les réflexes pris après les années passées à la radio, tout en faisant vivre les rebondissements avec le degré d’emportement nécessaire. Reste qu’il est parfois frustrant de constater, depuis son canapé, qu’on perçoit certains détails avant que les commentaires ne le remarquent. Là encore, ce n’est pas un exercice facile (il faut jongler entre les multiples écrans présents en cabine, les interventions du consultant et des reporters, la diffusion des conversations radio – dont la gestion reste un problème -, interagir avec la régie, etc.) et très sincèrement, aujourd’hui, Julien Fébreau est probablement celui qui le fait le mieux.

La Grille, l’émission d’avant-course diffusée en clair, joue de manière classique le rôle que l’on attend d’un programme devant faire monter la sauce avant la course et inciter les récalcitrants à s’abonner (à grands coups de sujets bardés de musiques hollywoodiennes), mais ne tombe pas dans les travers extra-sportifs des F1 à la Une des dernières années (la « Gazette » remplie de grid girls, de potins people, etc.). Toujours est-il que l’intérêt du passage obligé consistant à interroger les acteurs à quelques minutes du départ reste limité à la maîtrise de la communication et de la langue de bois des intervenants. Pour ce qui est du Podium, tout aussi classique, si la couverture est généralement plus fournie que sur TF1, les impératifs, notamment quand la course traîne, le rendent parfois bâclé.

Malheureusement, les qualifications et la course sont verrouillées par la FOM, les chaînes étant tenues de diffuser les images de la FOM telles quelles, et l’accès à la voie des stands étant interdit aux reporters. Il est donc difficile de sortir des sentiers battus lors de ces sessions, et cela se voit. Franck Montagny est cantonné à apporter de manière succincte son regard sur la séance qui vient de se terminer – non sans avoir quelques têtes de turc comme Romain Grosjean -, et Laurie Delhostal attend en zone d’interview les réactions des pilotes. La seule « innovation » tentée est le rôle de Laurent Dupin en course, qui rapporte conversations radio et statistiques. Mais d’une part, il lui arrive souvent de retranscrire des discussions qui ont déjà été traduites en cabine, et surtout, les statistiques données ne portent pas sur la course en elle-même mais sur ses conséquences probables (« Ce serait le Xème podium de Tartempion », « Untel n’a pas gagné depuis X ans », etc.), ce qui n’apporte aucun éclairage sur ce qui se passe en piste, alors que cela se révélerait bien plus pertinent. Le comble : bien souvent, ces statistiques, qui ne sont là que pour dire qu’on en fait parce qu’on est sur Canal+, sont exposées… pendant la diffusion d’un message radio. Il serait donc préférable, si des chiffres éclairants ne peuvent être produits, d’avoir Franck Montagny en intervenant libre depuis le paddock, ou, pourquoi pas, en bord de piste si la FOM le veut bien.

Enfin, tout cela est orchestré par Thomas Sénécal, qui outre sa position de rédacteur-en-chef, présente les retransmissions. Disons-le tout de suite, il fait l’objet d’un paradoxe : autant, il apparaît à l’antenne sobre, limite froid, autant, même si c’est le job qui le veut, il est emphatique dans sa façon de présenter le spectacle qui vient de se terminer ou qui va suivre. Tout ce qui se produit « annonce un Grand Prix exceptionnel, en immersion, grâce aux équipes de Canal ! », alors que la purge du Grand Prix de Russie est qualifiée par un euphémisme analogue à « Ça n’a pas été le Grand Prix du siècle. » Ce sentiment est moins présent quand il est agréablement suppléé par Laurie Delhostal, en général lors des essais libres 3 et de ses absences pour cause de couverture du WRC.

Le temps d’antenne mal utilisé hors des courses

Hors des circuits – même si le magazine Formula One est de plus en plus souvent délocalisé -, la couverture est plus laborieuse, mais a déjà le mérite d’exister. Le magazine du dimanche en clair, qui n’est pas destiné aux fans purs et durs, permet aux non-abonnés de suivre le week-end, même si le traitement dans un ordre non chronologique est assez déroutant. Reste qu’en une heure à peine, publicités comprises, tout est très court. Il faudrait peut-être se passer du dernier sujet un peu plus généraliste, généralement consacré à un pilote, qui a davantage sa place dans La Grille, et étendre les résumés et les plateaux d’analyse – où, tout comme les statistiques pendant la course, l’utilisation de la palette à grands renforts de flèches et d’annotations est rarement nécessaire. Au passage, il est surprenant de vouloir absolument imposer Karim Bennani quand l’émission est basée à Paris et de cantonner ainsi Margot Laffite, au fait du monde du sport automobile et déjà rompue à l’exercice, au commentaire des palettes et des tableaux.

Le mercredi soir, place au combo Onboard-Les Spécialistes F1 sur Canal+ Sport. Soulignons l’effort de proposer 90 minutes de Formule 1, dont 60 (Les Spécialistes) en clair sur la TNT (canal 42) et chez les FAI qui jouent le jeu. Toujours est-il que, de manière ahurissante, l’émission de débat n’a purement et simplement pas lieu de début juillet à fin août… Qui plus est, ce temps est mal géré : la volonté de proposer une émission totalement embarquée dans les monoplaces est de prime abord séduisante, mais l’ensemble ne colle pas en l’état. Onboard ne permet pas à elle seule d’avoir systématiquement un résumé complet du Grand Prix puisque toutes les voitures ne sont pas équipées de caméras embarquées. Qui plus est, elle fait l’objet de redondances avec le film de la course diffusé dans les Spécialistes, ce qui empiète sur les débats. Il faudrait donc faire une émission resserrée, Le film de la course, qui raconterait le Grand Prix en 30 minutes au moyen d’un maximum d’images embarquées mais pas exclusivement, puis faire place nette au débat dans Les Spécialistes F1. La qualité des discussions de cette dernière reste grandement liée à ses intervenants : en dehors des oppositions Julien Fébreau-Thibault Larue qui ont le mérite de proposer un débat passionné proposant généralement deux visions différentes, les autres, et notamment les remplaçants lors de leur indisponibilité, sont au moins un ton en-dessous.

Pour en finir avec la télévision, remarquons que chaque fin de saison a eu droit à une rétrospective de qualité, toujours très plaisante à suivre et ne se consacrant pas exclusivement à la lutte pour le titre. Sur ce point, de manière globale, la couverture est bien loin d’être aussi chauvine qu’elle l’était sur TF1.

Enfin, Canal+ produit aussi du contenu sur le Web. Mais le compte Twitter dédié @CANALFormule1 n’a pas grand intérêt, trop rarement utilisé notamment lors de l’intersaison, et ne servant bien souvent qu’à retweeter les membres du dispositif. Quant à la section F1 de canalplus.fr, elle reprend malheureusement les articles racolo-clicogènes de F1i, et il est dommage que ce choix n’ait pas été fait avec plus de considération. Point positif tout de même : elle donne un accès public à des vidéos telles que les résumés des séances et les sujets des émissions en clair.

Prochain contrat : vers une offensive de beIN Sports ?

Qu’adviendra-t-il de l’appel d’offres pour 2016 et après ? Aujourd’hui, pas grand chose n’a changé depuis début 2013. Du côté des pilotes, Romain Grosjean n’a pu confirmer le frémissement observé fin 2013 faute de matériel. Jean-Éric Vergne a vu Daniel Ricciardo le devancer dans la course au remplacement de Mark Webber et travaille désormais dans l’ombre chez Ferrari. Charles Pic a disparu de l’organigramme de Lotus, alors que Jules Bianchi est dans l’état de santé que l’on sait, et que la relève, Esteban Ocon et Pierre Gasly en tête, est encore jeune. Aussi, le dossier du Grand Prix de France est au point mort et aucune écurie française n’est vraisemblablement sur le point de s’engager en F1. La présence de Renault en tant que motoriste ne suffit pas à contrebalancer ces manques.

L’appel d’offres qui pointe le bout de son nez semble donc d’autant plus ouvert quand on sait que, d’après le rapport annuel de la FOM, les audiences en France ont baissé entre 2013 et 2014, ce qui n’incitera pas forcément la Quatre à remettre sur la table les 29 millions d’euros qu’elle paye chaque année. Mais surtout et voit arriver à l’horizon 2016 de lourds investissements dans les droits de la Ligue 1 (+113 M€/an) et du Top 14 (+42 M€/an), et cela même alors que la renégociation pour la Premier League n’a pas encore eu lieu. Sans hausse sensible du nombre d’abonnés ou des tarifs, cela devra se traduire par des sacrifices. Canal+ va de surcroît devoir nommer un nouveau Directeur des Sports et des acquisitions de droits sportifs puisque Cyril Linette, qui occupait ce poste, va prendre les rennes de L’Équipe d’ici quelques semaines.

On peut alors imaginer que beIN Sports sera là pour tenter sa chance, ne serait-ce que pour assécher encore plus l’offre de Canal+ ou faire monter les enchères. Surtout, la FOM pourrait préférer, à offres à peu près équivalentes, la perspective d’un public plus large, grâce à l’abonnement à 12 euros par mois sans engagement consistant une barrière à l’entrée moins haute. Et pourquoi pas, dans le meilleur des cas pour le public, une couverture partagée partiellement (pas d’intégralité des séances, des Grands Prix et/ou en différé) avec une chaîne de la TNT comme W9, TMC, ou, tant qu’on y est, L’Équipe 21, chose à laquelle la chaîne cryptée rechigne généralement ? Depuis 2012, ce modèle « à l’Anglaise » s’est exporté en Italie, alors qu’en Espagne et en Allemagne, une chaîne gratuite et une chaîne payante co-diffusent en direct toutes les courses, la différence se faisant dans la couverture des essais. Rappelons néanmoins qu’à ce rythme, selon la banque Natixis, beIN Sports cumulera d’ici 2020 plus de 2,2 milliards d’euros de pertes, ce qui pourrait limiter sa capacité à investir dans de nouveaux droits, alors que son seuil de rentabilité est encore bien loin. Il est donc encore bien tôt pour savoir où il faudra zapper en 2016.

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