Manor ou Marussia ? Les différents noms d’une écurie

La situation de Manor/Marussia est une de celles où on ne sait plus vraiment par quel petit nom appeler une écurie, en général pendant une année de transition après un changement de propriétaire. Au travers de ce cas, profitons-en pour nous plonger dans ce monde souvent nébuleux.

Un nom : des enjeux et des modalités

Outre les considérations identitaires, la désignation d’une écurie a une importance cruciale au niveau politico-économique. L’exemple le plus frappant est celui du départ d’Honda : Ross Brawn et ses associés ont eu beau reprendre le flambeau début 2009, la FIA et la FOM ont considéré Brawn comme une toute nouvelle écurie et non comme la suite directe d’Honda. En conséquence, pas de primes versées par la FOM, pas de transmission des numéros de course, et une place en fond de ligne des stands. Pour s’éviter ce contrecoup, et perdre les droits financiers de la neuvième place de 2014, Manor, tout comme nombre d’écuries avant elle, a donc préféré jouer la prudence en gardant, pendant cette saison uniquement, le terme Marussia dans les noms qui importent les autorités, et en faisant la demande de changement de nom pour l’année prochaine. Cela ne manque pas de rendre les choses compliquées, d’aucuns désignant l’écurie comme Manor, d’autre comme Marussia, et beaucoup choisissant d’accoler les deux termes.

La multitude de noms découle aussi en grande partie de la paperasse à remplir pour s’inscrire à une saison du Championnat du Monde de Formule 1. Mais si, comme certains députés français, vous êtes victime de « phobie administrative », rassurez-vous puisque tout cela est moins compliqué qu’une déclaration de revenus ! En effet, le formulaire, disponible publiquement en Annexe 2 du Règlement Sportif, tient en deux pages A4. À cette occasion, outre des informations sur ses coordonnées, son personnel et sa licence, l’écurie doit déclarer trois noms : le nom de la société qui chapeaute l’inscription, le nom du constructeur de la voiture et de son moteur, et le nom de l’écurie. Mais nous verrons aussi que ce n’est pas tout, puisque l’on fait parfois fi de ces noms officiels en désignant une écurie plus simplement, avec un nom usuel.

Le nom de la société : Manor Grand Prix Racing Ltd.

La première chose à faire avant de tenter une inscription est de monter une entreprise, et par conséquent d’en choisir un nom et une forme juridique (généralement accolée au nom). Cela se fait auprès de la chambre de commerce locale, et c’est aussi devant cette dernière que l’on peut demander un changement de nom, ce qui est généralement une simple formalité : au Royaume-Uni, par exemple, il faut envoyer un petit formulaire à la « Companies House », ainsi que le règlement des frais de dossiers pour 10£ (14€) – 8£ (11€) si cela se fait en ligne. C’est cette entreprise qui se charge de réaliser l’inscription auprès de la F1 et qui signe un accord commercial avec la FOM, lui permettant d’obtenir des primes selon ses résultats.

Mais alors qu’en est-il dans le cas que nous étudions ? Eh bien la société Manor Grand Prix Racing Ltd. porte ce nom depuis… le 30 mars 2009 ! En effet, avant l’appel à candidature de la FIA en vue de la saison 2010, le nom Manor était déjà bien connu dans le sport automobile, l’écurie ayant été créée en 1990 par John Booth, qui est toujours là, et s’étant engagée notamment en Formule Renault 2.0 (Championnat britannique et Eurocup) et en Formule 3 (Championnat britannique puis Euro Series), disciplines auxquelles il faut désormais ajouter le GP3 et l’Auto GP. C’est dans les rangs de Manor Motorsport que s’est fait remarquer un certain Kimi Räikkönen avant de monter en F1 chez Sauber sans passer par la case F3 ou F3000, en remportant 11 des 14 courses disputées entre le championnat hivernal 1999-2000 et le championnat 2000 de Formule Renault 2.0 UK. Idem pour Lewis Hamilton et son ascension plus linéaire, de 2001 à 2004, entre Formule Renault 2.0 et Formule 3, avant de passer chez ASM/ART.

L’écurie ne fait donc que retrouver l’identité qu’elle souhaitait avoir à ses débuts, mais qu’elle n’a pu garder puisque la proposition de budget limité à 50 millions de dollars n’a jamais abouti. Il a donc fallu rapidement trouver des investisseurs pour survivre et les laisser exploiter commercialement l’écurie à leur convenance : Virgin d’abord, puis Marussia par la suite. Mais il n’a pas été question de changer le nom de la société qui a géré l’écurie dès le début, et avec quasiment le même état-major.

Malgré tout, plus que le nom qui, on l’a vu, peut être facilement changé, c’est l’entreprise elle-même et son histoire qui rendent compte de la filiation d’une écurie. En effet, même si la société et/ou l’écurie et/ou le constructeur changent de nom, on n’en efface pas l’historique qui reste donc consultable. Ainsi, à partir de Mercedes-Benz Grand Prix Ltd., il est possible de remonter jusqu’en 1964, date de création de Tyrrell Racing Organisation Ltd. ! On peut ainsi lier nombre de noms différents les uns aux autres, qui en eux-mêmes n’évoquent qu’un morceau de la même histoire : ici Tyrrell, BAR, Honda, Brawn et Mercedes, dans un autre cas Jordan, Midland, Spyker et Force India, ou encore Stewart, Jaguar et Red Bull.

C’est même parfois revendiqué : malgré un nom avec lequel elle n’a pas grand chose à voir – j’y reviendrai – et la tentation de l’utiliser en trahissant ses origines, l’écurie Lotus actuelle honore l’héritage de sa société en arborant fièrement sur sa carrosserie 3 étoiles apposées au devant du cockpit de ses voitures, pour chacun des titres Constructeurs remportés sous les noms de Benetton et de Renault, en n’oubliant pas qu’avant ces deux noms, il y a eu Toleman de 1981 à 1985, et en rendant hommage dans la dénomination de ses châssis à son usine d’Enstone (le E de E23 Hybrid) où elle est installée depuis 1993.

Dans un tout autre registre, un cas particulier présente un intérêt : celui de Ferrari. Là où, dans le reste du plateau, les écuries font partie d’un portefeuille de filiales mises sous la responsabilité d’une maison mère, la Scuderia est pour sa part un département du constructeur automobile italien. C’est donc directement Ferrari S.p.A. qui est engagée en F1. Cela bloque assez clairement, par exemple, l’installation d’une surveillance par un organisme indépendant des coûts engagés par les écuries, puisque les comptes de l’écurie de F1 Ferrari ne sont pas séparés de ceux du motoriste de F1 Ferrari ni du reste des activités de Ferrari – et ce à plus forte raison que les autres activités de Ferrari en sports mécaniques, notamment la production et la commercialisation des différentes versions de course de la Ferrari 458 Italia, tombent aussi sous la coupe de la Scuderia et de la division dirigée par Maurizio Arrivabene.

Le nom du constructeur : Marussia Ferrari

Laissons parler sur ce point l’article 6.3 du Règlement Sportif : « Le constructeur est la personne (incluant toute personne morale) qui conçoit les pièces listées en Annexe 6 [la monocoque, la carrosserie et ses éléments aérodynamiques, et les structures d’absorption des chocs, ndlr]. La marque d’un moteur ou d’un châssis est le nom qui lui attribué par son constructeur. […] Si la marque du châssis n’est pas la même que celle du moteur, le titre sera attribué au premier, qui doit toujours précéder le dernier dans le nom de la voiture. »

Comme évoqué en préambule, Manor a préféré garder le nom Marussia pour s’assurer ses primes de 2014. Cette situation a parfois donné place à quelques cas étranges : entre 2009 et 2010, BMW a rendu le contrôle de son écurie BMW Sauber – pour laquelle, si on suit le règlement à la lettre, le moteur s’appelait soit Sauber, soit BMW Sauber – à son propriétaire d’origine tout en gardant le nom de son châssis. Mais avec le retour du moteur Ferrari en Suisse, les classements de la saison 2010 se sont remplis de mentions de BMW Sauber Ferrari qui font assez mal aux yeux !

Évoquons aussi au passage le cas de Red Bull et Toro Rosso. Les écuries sœurs ont toutes deux débuté en utilisant comme nom de constructeur l’abréviation du nom de leur écurie, RBR et STR. Mais l’écurie principale, après avoir oscillé entre RBR et Red Bull tout court, a finalement adopté Red Bull Racing en 2010, alors que le junior team a gardé sa dénomination abrégée au cours de ses 10 ans d’existence.

Sachez enfin que le cas où une écurie changerait de moteur, et donc de nom de constructeur, en cours de saison – pourquoi vous tournez tous la tête vers l’Autriche ? – est prévu : l’article 13.3 spécifie que « tous les points marqués avec un moteur d’une marque différente de celle qui était à l’origine inscrite au Championnat compteront (et seront additionnés) pour la distribution des bénéfices commerciaux [les primes de la FOM, ndlr], mais ne seront cependant pas comptabilisés (ni additionnés) au Championnat du Monde des Constructeurs de Formule 1 de la FIA. » Cela n’était pas le cas en 1985 : en attendant l’arrivée de la Tyrrell 014 adaptée au V6 Turbo Renault, l’écurie Britannique a participé aux 6 premiers Grands Prix avec une 012 à moteur Ford Cosworth, avant d’avoir seulement un châssis 014 à disposition partagée de Martin Brundle et Stefan Bellof pour les 4 courses suivantes, et de proposer enfin une Tyrrell Renault à ses deux pilotes pour les 6 Grands Prix restants. Au classement Constructeurs, Tyrrell Ford Cosworth s’est finalement classée 9ème avec 4 points, une unité devant… Tyrrell Renault !

Le nom de l’écurie : Manor Marussia F1 Team

L’intérêt d’un tel nom est double. D’abord, le constructeur (qui conçoit et fabrique des voitures) et l’écurie (qui exploite des voitures sur les circuits) ont pendant très longtemps pu différer – et il n’est pas exclu que cette distinction puisse de nouveau se faire dans un futur proche. Dès la première course de Championnat du Monde, le 13 mai 1950, parmi les 23 voitures engagées, entre 13 et 16, selon les sources, l’étaient par des écuries clientes. Cela a duré jusqu’en 1993, où Lola fournissait la petite écurie BMS Scuderia Italia, qui sortait de 5 années avec des châssis Dallara.

Aujourd’hui, même s’il est possible, sous certaines conditions, de sous-traiter l’activité de constructeur à un tiers (comme HRT en 2012 avec la société Adess et en 2010 avec Dallara, et Virgin en 2010 et 2011 avec Wirth Research), le règlement oblige le nom du constructeur du châssis, tel qu’indiqué dans le formulaire d’inscription, à figurer dans le nom de l’écurie – alors que, curieusement, le nom du moteur peut être omis. Engager des Dallara, par exemple, est donc possible, mais il faut alors faire mention de Dallara dans le nom de l’écurie, ce qui, d’une part, n’est pas forcément très heureux puisque cela fait souligne immédiatement le statut de simple client exploitant de l’écurie, et d’autre part, cela nécessite un nouveau de nom de constructeur à chaque changement de prestataire, avec les complications auprès de la FOM que cela implique.

Outre cette règle, la liberté y est quasiment totale et peut donc, second intérêt, laisser libre cours au marketing. L’écurie va pouvoir y mettre en avant un sponsor qui aura avancé assez d’argent pour y figurer, ce qui donne une visibilité sur la monoplace, mais aussi dans toutes les communications officielles et sur le logo. Souvent occupée par des cigarettiers, les restrictions en matière de publicité pour le tabac et la conjoncture économique ont mené à une raréfaction de cette position : seules Mercedes, Red Bull et Williams y parviennent alors que même McLaren peine à retrouver ce genre de partenaire particulier.

Cette liberté va jusqu’au point de pouvoir changer de nom en milieu de saison, au fil des contrats de sponsor, des ventes et des imprévus. Ainsi, en 2005, le cigarettier West décide de négocier avec McLaren une fin anticipée de son contrat, qui mène au changement de West McLaren Mercedes en Team McLaren Mercedes en plein milieu de saison. L’année suivante, le constructeur néerlandais Spyker rachète en pleine saison l’écurie russe MF1 Racing, héritière de Jordan, et préfixe immédiatement ce nom avec sa marque, en attendant la fin de saison – et un énième rachat qui mènera à Force India. En 2009, suite au scandale du crashgate, nombre de sponsors de Renault dénoncent leur contrat, y compris le sponsor-titre ING, qui délaisse ce qui devient alors simplement Renault F1 Team. Enfin, en 2011, du fait des législations de plus en plus contraignantes concernant la publicité pour le tabac, la Scuderia Ferrari Marlboro délaisse le nom du célèbre cigarettier de Philip Morris.

Mais même des changements de nom effectués pendant l’intersaison peuvent mener à des bizarreries. Alors qu’on pensait avoir vu le pire avec le constructeur BMW Sauber Ferrari, est arrivé l’imbroglio autour de la marque Lotus. Pour la saison 2011, l’écurie qui s’appelait précédemment Renault F1 Team a signé un accord de sponsoring titre avec le constructeur automobile Lotus, se présentant officiellement en tant que Lotus Renault GP – le constructeur restant temporairement Renault, malgré son désengagement officiel. Dans le même temps, l’écurie Lotus Racing de 2010 a acquis l’utilisation du nom Team Lotus, qu’elle a alors inscrit comme nom complet de l’écurie, et signé un accord de fourniture moteur avec Renault, pour avoir comme nom de constructeur… Lotus Renault !

Cette dénomination désignait donc, à peu de choses près, deux entités complètement distinctes : l’écurie engageant des Renault d’un côté, le constructeur des voitures engagées par l’écurie Team Lotus de l’autre. Et c’eût pu être pire : Team Lotus avait émis le souhait de reprendre la livrée noir-et-or autrefois utilisée par son ancêtre, laquelle a entre-temps été adoptée par Lotus Renault GP ! Et si le rachat par les propriétaires de Team Lotus du constructeur Caterham a permis de régler les choses, cela n’a pas tout de suite dissipé la confusion puisqu’une écurie est passée du constructeur Renault à Lotus Renault et l’autre de Lotus Renault à Caterham Renault. Voila qui vaut bien des sketchs de Raymond Devos !

Tout cela alors qu’aujourd’hui, Lotus F1 Team n’a plus aucun lien avec Lotus Cars, l’accord de sponsoring ayant été résilié en début de saison 2012. Elle utilise donc un nom pour lequel elle ne reçoit plus aucun revenu, et qui était celui d’une écurie concurrente alors qu’elle-même s’appelait Toleman ou Benetton…

Sinon, pour le reste du nom, il y a quatre écoles : « Écurie » (ou plutôt sa traduction italienne « Scuderia ») contre « F1/Formula 1 Team » contre « Racing » contre… le vide ! En effet, depuis 2007, McLaren se contente d’accoler le sponsor principal, s’il existe, McLaren et le motoriste, l’écurie considérant que le nom McLaren est davantage évocateur de la F1 que des poussettes. Le grand classique reste malgré tout « F1 Team », avec Mercedes qui joue un poil d’originalité en utilisant la déclinaison « Formula 1 Team ». Petit anecdote : à l’annonce du rachat de Minardi, Toro Rosso était désignée en tant que Squadra Toro Rosso (Équipe Taureau Rouge en italien), avant que la décision soit prise de grappiller une faible part de l’utilisation du mot Scuderia à Ferrari.

Dans le cas de Manor, outre la présence obligatoire de Marussia du fait du choix de nom de constructeur, on a juste affirmé l’héritage britannique de l’écurie et son passé dans les formules de promotion, en plus de préparer le terrain au changement complet de nom, comme entre 2010 et 2012 : de Virgin Racing, le nom était passé à Marussia Virgin Racing en 2011 puis à Marussia F1 Team l’année suivante.

Le nom « usuel » : c’est vous qui voyez !

Eh oui, malgré tous ces noms officiels, j’ai passé tout l’article à désigner l’écurie de John Booth par un autre nom : celui de Manor, tout simplement. À ce niveau, chacun fera son choix en attendant que, de toute façon, l’équipe basée à Dinnington puisse évaporer le doute en changeant définitivement de nom. En tout cas, il s’agit pour ma part d’arrêter l’hypocrisie : le nom Marussia, à l’origine celui d’un constructeur automobile russe qui n’aura pas fait long feu, et sa connotation russe n’ont plus lieu d’être dans une écurie qui, à part les fonds, a toujours eu ses racines au Royaume-Uni. Si le milieu n’était pas si dur avec les changements de nom, qui font partie de la vie des écuries malgré leur absurdité (en moins de 9 mois, Honda est devenue Mercedes via Brawn), on ne parlerait déjà plus de Marussia. Et l’écurie elle-même se présente comme Manor, que ce soit sur son logo ou sur les réseaux sociaux.

Le cas Manor reste une exception et, vraisemblablement, pas grand monde ne parle de Red Bull Racing pour nommer Red Bull ou de STR (à part quand la place manque sur Twitter) pour désigner Toro Rosso. Chaque écurie n’a donc a priori qu’un nom usuel, que je vous propose dans le tableau qui conclut l’article aux côté des noms officiels des 10 écuries actuelles. Il est de toute façon toujours possible de s’en sortir par une pirouette en utilisant, comme tout bon journaliste qui cherche à éviter les répétitions, une périphrase !

Les noms actuels

Nom usuelNom de l'entrepriseNom du constructeurNom de l'écurie
MercedesMercedes-Benz Grand Prix Ltd.MercedesMercedes AMG Petronas Formula 1 Team
Red BullRed Bull Racing Ltd.Red Bull Racing RenaultInfiniti Red Bull Racing
WilliamsWilliams Grand Prix Engineering Ltd.Williams MercedesWilliams Martini Racing
FerrariFerrari S.p.A.FerrariScuderia Ferrari
McLarenMcLaren Racing Ltd.McLaren HondaMcLaren Honda
Force IndiaForce India Formula One Team Ltd.Force India MercedesSahara Force India F1 Team
Toro RossoScuderia Toro Rosso S.p.A.STR RenaultScuderia Toro Rosso
LotusLotus F1 Team Ltd.Lotus MercedesLotus F1 Team
ManorManor Grand Prix Racing Ltd.Marussia FerrariManor Marussia F1 Team
SauberSauber Motorsport AGSauber FerrariSauber F1 Team
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