Melbourne, l’attrait de la nouveauté, mais pas seulement

Excepté deux incartades à Bahreïn, Melbourne ouvre le Championnat depuis 1996. Mais si la primeur d’une saison garantit un intérêt particulier au Grand Prix d’Australie, il y a largement davantage que cela pour nous faire veiller tout un week-end.

Sacrifieriez-vous un week-end de sommeil pour suivre les Essais Libres du premier Grand Prix de la saison s’il se déroulait, par exemple, en Corée du Sud ? « Probablement », répondront nombre d’entre vous, et je vous comprends puisqu’il y a de grandes chances que je fasse partie des vôtres, tout impatient que je suis au moment où j’écris ces lignes.

Mais ne nous mentons pas : ça n’aurait pas du tout la même saveur. En quatre éditions, il a fallu des circonstances particulières en 2010 et 2013 (météo capricieuse, abandons spectaculaires, 4×4 baladeur) pour que le circuit de Yeongam produise des courses dignes d’intérêt. Mettre ce Grand Prix de Corée du Sud en ouverture de la saison lui aurait certes donné un peu de lustre puisqu’il serait le premier à soulager notre irrépressible impatience, mais aurait de grandes chances de doucher nos ardeurs hivernales en nous présentant une course quelconque. Fort heureusement, le contrat de la course coréenne est aujourd’hui cantonné aux archives juridiques de la FOM.

Bahreïn en ouverture, prouvé comme mauvaise idée

C’est donc ailleurs qu’il faut chercher l’intérêt principal du Grand Prix d’ouverture quasi-immuable depuis 1996, l’Australie, qui nous attend d’ici quelques trop longs jours. J’en veux pour preuve les éditions 2006 et 2010, seules exceptions à cette règle, mais s’inscrivant pourtant dans la plus pure tradition de leurs homologues. Les premiers rendez-vous de ces saisons, organisés à Bahreïn, n’ont d’ailleurs pas tenu la comparaison.

À la sieste moyen-orientale de 2006, seulement interrompue par un freinage raté de Felipe Massa au premier virage en début de course, a répondu une course typiquement « melbournienne », déjà plus animée avant même l’extinction des feux que toute les 57 tours du circuit de Sakhir : Juan Pablo Montoya part en tête-à-queue dans le tour de formation en chauffant ses gommes, et Giancarlo Fisichella renvoie tout le peloton pour un nouveau tour de formation en calant sur la grille avant le début de la procédure de départ. Départ comme souvent mouvementé, où Nico Rosberg et Felipe Massa y laissent leur monoplace et où Christian Klien y endommage la sienne, ce qui provoque la sortie de la voiture de sécurité. Le même Safety Car est de retour quelques boucles seulement après la reprise, l’Autrichien de chez Red Bull sortant violemment après un rupture consécutive à l’accrochage du départ. Je m’arrête là avant que ne me prenne l’envie d’écrire un résumé complet, entre une rare erreur de pilotage de Michael Schumacher, et la casse du moteur Honda de Jenson Button dans le dernier virage de la course, sous les yeux d’un Fisico qui n’en demandait pas tant.

Quant à 2010, le Grand Prix du Bahreïn restera comme un des plus ennuyeux de l’histoire, ne rendant pas grâce aux commémorations du 60ème anniversaire du championnat qui y ont eu lieu : la victoire de Fernando Alonso, pour ses débuts chez Ferrari, aura été une longue procession sur un tracé inexplicablement allongé par une section sans grand intérêt, qui réduisait le virage le plus rapide du circuit au néant et n’offrait aucune possibilité de dépassement supplémentaire. Seul un problème moteur de Sebastian Vettel, alors en tête, changera la hiérarchie en le reléguant finalement à la 4ème place. La course australienne, sans être démentielle, fut pour sa part un classique, avec de nouveau un premier tour mouvementé, sur piste humide, qui élimine trois voitures et où Fernando Alonso est envoyé en tête-à-queue, repartant en fin de peloton après la période de neutralisation. Des conditions changeantes qui profitent, naturellement, à Jenson Button, qui signe alors son premier succès chez McLaren, devant le surprenant Robert Kubica, Felipe Massa et Fernando Alonso, miraculeux 4ème après ses péripéties du départ.

Un cadre transformé

On est donc loin d’un Grand Prix intéressant simplement parce qu’il ouvre la saison. Déjà, le cadre est étonnant. En dehors du mois de mars, l’Albert Park est une large et paisible étendue de verdure au sud de Melbourne. En son centre se trouve un lac de 120 hectares bordé de palmiers, et tout autour, à part quelques rares bâtiments, de la pelouse, de la pelouse, et encore de la pelouse, seulement interrompue par le ruban d’asphalte ouvert à tous qui nous intéresse. Sur une grande partie du tracé, les côtés de la piste sont des places de parking, quand ce ne sont pas parfois certains virages tout entiers, ce qui peut poser des problèmes aux Formule 1 : toute l’année, les véhicules de monsieur tout le monde déposent leurs fluides sur la partie droite de la ligne droite des stands et peuvent donc rendre périlleux l’élancement depuis les places paires sur la grille.

Il faut voir le parc en temps normal de ses propres yeux pour se rendre compte de l’incroyable métamorphose qu’il connaît chaque année. Il faut retirer les poteaux et les cordons qui jouxtent la route, les parcmètres, les réverbères, masquer le marquage routier au sol, installer les murs, rails, grillages, piles de pneus et autres équipements de sécurité, les vibreurs, les bacs à gravier, les tribunes, les ponts piétons au-dessus de la piste, les panneaux publicitaires, les écrans géants, etc. Bref, tout est à faire, sauf pour l’herbe qui, elle, est là toute l’année. Sinon, le parc est tout bonnement méconnaissable.

Un tracé semi-urbain qui punit les erreurs

Et ce cadre confère au circuit quelques propriétés uniques : c’est le seul tracé sur des routes normalement publiques à présenter autant de dégagements en herbe et en graviers, un des derniers à résister au tout-asphalte – et pour cause, on ne va pas bétonner un espace vert pour la F1. Difficile donc de l’appeler circuit en ville ou circuit urbain puisque les murets, à part en de rares endroits, sont plutôt loin du bord de la piste. Malgré cela, cette verte pelouse ne pardonne pas facilement les erreurs car elle est particulièrement bosselée, ce qui a mis fin aux courses de Michael Schumacher en 2006 et de Timo Glock en 2008.

La piste en elle-même, c’est d’abord un premier virage très sec, Brabham, un goulot d’étranglement similaire à ceux d’Hockenheim ou du Red Bull Ring, qui crée des départs toujours compliqués. Outre ceux de 2006 et 2010 évoqués ci-dessus, l’envol – au sens propre comme au figuré – de Ralf Schumacher sur la Ferrari de Rubens Barrichello en 2002 reste dans les mémoires, puisque la vision du décollage de la Williams a semé la panique dans le peloton, éliminant 8 voitures d’entrée. Même lors des 57 passages suivants, Brabham reste un point compliqué du circuit : l’étroitesse de la piste et le faible rayon de la courbe ne laissent qu’une vraie trajectoire qu’il est aisé de manquer. Un fait d’autant plus crucial en phase de dépassement, puisque la quasi-impossibilité de passer à deux de front rend nécessaire le fait d’être passé avant le virage.

D’ailleurs, le tracé ne se prête pas particulièrement aux dépassements, même depuis l’introduction du DRS – preuve que ce ne s’est qu’une composante du spectacle comme une autre. Ligne droite des stands mise à part, la piste est légèrement courbe lors des phases de pleine charge : il est alors plus facile de défendre en forçant son adversaire à prendre une trajectoire la plus longue. Un avantage au défenseur qui permet quelques surprises : Sébastien Bourdais, pour ses débuts en F1, a pu tenir en respect Fernando Alonso et Heikki Kovalainen pour la 4ème position, qui ne lui a échappé que pour une rageante casse mécanique à 2 tours et demi du but. Et que dire de Mark Webber qui, lors de l’édition 2002, est parvenu à rester devant la Toyota de Mika Salo sur sa modeste Minardi ? Le Finlandais en est même parti en tête-à-queue, assurant au régional de l’étape une héroïque 5ème place.

Dans la lignée du virage 1, il y a quelques courbes tout aussi fermées et brèves qui mettent les pilotes à l’épreuve : Lauda (virage 5), Marina (virage 6), mais surtout Waite (virages 11 et 12), une chicane prise à plus de 220 km/h, demandent une grande précision du fait du court laps de temps entre le point de braquage et le point de corde. De surcroît, une mauvaise entrée dans Waite rend la sortie compliquée, et c’est tout le chemin vers le freinage du virage 13 (Ascari), une des zones de dépassement, qui en pâtit. De même, le dernier virage, Prost, est piégeur car il nécessite de ré-accélérer en aveugle à la sortie et conditionne la ligne droite des stands.

C’est donc un tracé propice aux courses chaotiques, au profil accélération/freinage un peu moins marqué qu’au Canada ou qu’à Bahreïn, qui du coup a plus de rythme et laisse moins de répit aux pilotes entre chaque courbe. Si nombre de virages à vitesse relativement faible le composent, ce n’est pas assez pour casser sa rapidité : lors de sa pole de 2011 en 1:23.529 autour des 5,303 km du circuit, Sebastian Vettel a atteint une vitesse moyenne de 228,553 km/h ! Mais, les voitures étant réglées avec une quantité d’appui raisonnable, la consommation de carburant est élevée – tiens, tiens ! -, et plus importante qu’à Spa ou Monza.

Et, comme si ça ne suffisait pas, l’ambiance en ville est à la ferveur. Engouement populaire, courses à rebondissements, tracé propice aux erreurs qui se payent : n’est-ce pas là l’inverse de tout ce qu’on reproche aux nouveaux circuits ? Donc, quand est-ce qu’on prolonge, M. Ecclestone ?

5 Comments

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