Et si Frank Underwood prenait la tête de la FIA ?

Que se passerait-il en F1 si le héros de la série House of Cards, Frank Underwood, prenait la tête de la FIA ? C’est à cette question que nous vous proposons de répondre le temps d’une fiction.

Vous le savez bien si vous êtes parmi les habitués du SAV de la F1, nous ne laissons jamais passer une occasion de nous lamenter sur ce à quoi la FIA est réduite depuis plusieurs années – et particulièrement sous le mandat de Jean Todt – c’est-à-dire une chambre d’enregistrement de la volonté des grosses structures et des détenteurs des droits commerciaux, qui n’a plus qu’un réel pouvoir quand, malheureusement, la sécurité vient à être questionnée (Silverstone 2013, Japon 2014).

Dans ces conditions et en ces temps difficiles, il n’est pas incongru que notre imagination puisse se perdre entre désir, fiction et réalité. Et difficile de trouver meilleur personnage pour incarner le renouveau d’une FIA se rêvant reine qu’un homme à poigne, prêt à tout pour mener son destin à bien : Frank Underwood.

Chapitre 1

Décembre 2017. Après un vote serré, la nouvelle de la surprise tombe : Jean Todt, qui avait finalement choisi de se représenter pour un troisième mandat, est battu de quelques voix par un ancien homme politique américain de haut rang, Frank J. Underwood. Originaire de Caroline du Sud, il en fut ce que l’on appellerait ici un député à la Chambre des Représentants du Parlement américain. Plus encore, il était le « whip » du Parti démocrate, l’homme chargé de veiller à ce que les représentants de son camp soient présents et votent dans le bon sens. Cette expérience lui a servi pour atteindre la tête de la FIA, en fédérant derrière lui les votes des petites fédérations et en s’assurant de précieux soutiens comme l’Allemagne ou encore la Grande-Bretagne.

Mais le tournant de la campagne, pour laquelle il ne partait pas favori, fut indubitablement son discours devant l’Assemblée générale de la FIA, à Paris. Underwood, exposant ses idées pour le sport automobile, avait terminé sur un réquisitoire désormais célèbre : « Comme vous le voyez, je ne serai pas le candidat fantoche qu’à été M. Ward ici présent. Je ne serai pas ce faire-valoir, ce bouffon du roi. Et le roi, parlons-en : à trop trôner il en oublie de gouverner. Comment la Formule 1 a pu lui échapper, lui qui y a tant réussi ? N’en parlons plus, il est de l’histoire ancienne… Remettons la FIA sur la route du pouvoir. » Un bafouillant Jean Todt, visiblement troublé par cette diatribe féroce, n’était pas parvenu à redresser une barre que ses 71 printemps rendaient difficile à tenir. Le tout accompagné du narquois sourire de son adversaire.

À nous : « Vous connaissez cette impression d’avoir poussé un vieillard du haut des escaliers ? Elle me manquait. »

Frank Underwood est désormais à la tête de la Fédération Internationale de l’Automobile. Sa passion pour le sport auto est arrivée sur le tard, encouragée par le projet de Gene Haas en Formule 1, qui a convaincu dès sa première saison et a ouvert plus encore les yeux de l’Amérique sur une discipline reine boudée depuis longtemps. Après avoir intégré la Fédération américaine, il s’était lié d’amitié avec plusieurs directeurs d’écuries et des personnages influents du monde de la F1, comme évidemment l’incontournable Bernie Ecclestone, lors des ses venues dans le paddock. « Nous sommes faits du même bois, » expliquait-il volontiers.

À nous : « Mais moi, je ne suis pas rongé par les termites. »

Les relations des deux hommes sont connues de tous les observateurs et personne ne s’attend réellement à ce qu’Underwood « remette la FIA sur la route du pouvoir », celle-ci étant liée contractuellement aux détenteurs des droits commerciaux.

Chapitre 2

Dès ses débuts, pourtant, il contrarie les plans du Groupe Stratégique et de la Commission F1 en demandant à ce que ne soient pas validées les décisions pourtant mineures prises par ces deux instances, dont il souhaiterait pouvoir prendre connaissance de manière plus approfondie. Dans la foulée, Bernie se fend d’une première pique dans la presse britannique : « Il est dommage que le président de la Fédération qui régit la F1 ne connaisse pas bien les dossiers pour lesquels il a été élu. Et pour lesquels des représentants de l’organisation qu’il gère ont voté. Enfin, il débute… ».

Rapidement, le doute puis la défiance s’installent entre les deux hommes sur l’épineux dossier des coûts. Underwood soutient publiquement les petites structures et fait débloquer un fonds d’aide aux équipes en difficulté avec l’accord de Mercedes et de Ferrari, convaincues de la nécessité de ne pas laisser la grille se vider tout en profitant d’une situation économique plus stable. Ecclestone, lui, continue de tirer à boulets rouges sur les « mendiants de la F1 » et prévient qu’il ne laissera rien passer de leur part « maintenant qu’ils sont subventionnés par la Fédération ». Les deux hommes se rencontrent à plusieurs reprises en janvier pour discuter de ces problèmes, en compagnie de représentants des écuries. Les positions ne bougent pas, la présidence de la FIA demeure trop déconnectée des lieux de pouvoir et Frank Underwood ne peut que constater son impuissance.

À nous : « J’ai connu des Parlements difficiles à bouger, mais le fonctionnement de la F1 est quasi-soviétique. Non, il ne l’est pas, en réalité les soviétiques étaient plus dynamiques. Rien ne se fait sans le camarade Ecclestone… »

Lotus, criblée de dettes, ne peut être sauvée et disparaît à son tour en février 2018. Après Manor mi-2016 et Force India début 2017, la grille tombe à 16 voitures et aucune nouvelle écurie n’est en vue pour les saisons à venir. On presse Underwood d’agir avec ses faibles pouvoirs en lançant au moins un appel d’offres, mais il refuse. « Si les ours ne viennent pas d’eux-mêmes chercher du miel, alors crier après eux ne changera rien ; nous risquons même de les contrarier, » déclare-t-il sur la grille du premier Grand Prix de la saison, à Melbourne. Cette décision est mal comprise et les observateurs tancent celui qui a été surnommé « Frankie », accusé de marcher sur les traces peu glorieuses de son prédécesseur.

À nouveau, le projet d’une troisième voiture par équipe est mis sur le tapis par Ecclestone. Cette fois, il semble impossible d’y échapper d’autant que Sauber n’est pas sûre de pouvoir rouler à Melbourne. Renault – qui a racheté Toro Rosso début 2016 – et Williams font part de leur réticence à devoir mettre en place une coûteuse troisième voiture. Le directeur général du Formula One Group se lance alors une opération de tractations secrètes. « J’approuve la volonté de Bernie, je suis persuadé qu’un accord pourra être trouvé prochainement pour remplir de nouveau cette grille, » confie le patron de la FIA lors d’un entretien accordé à CNN.

Début mai, les avancées des discussions sont telles qu’une réunion extraordinaire est prévue au lendemain du Grand Prix de Monaco pour s’accorder sur les derniers détails réglementaires. Selon certains médias, Renault et Williams sont attendus à la table des discussions et un accord de principe aurait été trouvé pour permettre la mise en place d’une troisième voiture par chaque écurie. « Le pari d’Ecclestone en passe d’être remporté, » peut-on lire dans le journal L’Equipe. Quelques jours plus tard, l’enthousiasme retombe légèrement alors que la réunion est finalement repoussée au coeur de l’été. « Rien ne presse, » déclare Bernie, « tout sera finalisé pour la saison prochaine. »

Chapitre 3

Underwood, resté silencieux plusieurs semaines, organise un « point-presse » quelques heures après les qualifications du Grand Prix de Monaco. La veille, le monde de la F1 apprenait le placement de l’écurie Sauber, non présente depuis le début de saison, en redressement judiciaire. S’installant devant un parterre de journalistes, il les salue, arborant son habituel sourire, et sans aucune préparation annonce qu’au nom de la Fédération Internationale et après consultation de ses conseillers juridiques, il considère que les obligations issues des contrats avec la FOM n’ont pas été respectées et que la FIA n’est donc plus liée à cette société. « Merci à tous et bonne course, » lâche-t-il avant de quitter la pièce sous le feu des questions et des regards médusés.

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Immédiatement, le téléphone d’Underwood sonne. Ecclestone veut le rencontrer rapidement en tête-à-tête et le rendez-vous s’organise le dimanche matin. Dans le plus grand secret, Bernie rejoint son hôtel et la discussion s’engage dans la suite de l’ex-député :
« On ne me poignarde pas comme ça sans y laisser gros, Frank… Le contrat est tout sauf remis en cause, les précédents sont clairs. Tu cherches à tout mettre par terre ?
– Alors il n’y a rien à craindre pour toi…
– Tu ne vas quand même pas réellement nous embarquer tous dans ton délire contractuel ? Tu veux vraiment ne pas finir la première année de ton mandat ?
– Je parie plus sur mon mandat que sur ces contrats. Que vas-tu faire pour m’en dissuader ? M’offrir un pot-de-vin ? C’est une habitude…
– Tu sais, Frank, si je n’étais pas certain de rester à ma place, je ferais tout pour te briser, t’anéantir, quitte à ce que tu nourrisses les poissons de ce port. Là, je vais juste te regarder te noyer seul.
– Mon canot de sauvetage n’attend que d’être envoyé à l’eau…
»

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Les médias spécialisés multiplient les articles et les reportages sur la question des droits, avec en toile de fond l’affrontement entre les deux hommes. Les spécialistes des questions économiques ne s’attendent pas vraiment à ce qu’Underwood aille au bout de sa démarche : « Le coup de poker ressemble à un tapis envoyé avec une paire de deux alors que votre adversaire dispose d’un carré d’as. Ce n’est pas Ecclestone que le président de la FIA chercher à impressionner, mais les autres joueurs à la table. »

Début juin, alors que plus aucune déclaration sur le sujet n’a été faite depuis le dimanche du Grand Prix de Monaco, la BBC relaie un enregistrement audio « volé » présenté comme celui d’une discussion entre Bernie et Frankie. Le premier menace clairement et directement le second après sa conférence de presse à Monte-Carlo. La séquence, bien que trafiquée par rapport à la discussion originale, est massivement reprise et diffusée sur les réseaux sociaux, les médias ne prenant pas la peine de vérifier son authenticité. Pendant deux semaines, Underwood refuse la moindre interview, puis finit par déclarer que la scène a vraiment eu lieu.

Sous une grande pression médiatique, Ecclestone joue son va-tout dans un entretien accordé à Forbes mais ne convainc pas. Lâché par son Conseil d’administration et vivement critiqué par la plupart de ses soutiens dans le monde de la F1, il doit se résoudre à une impensable démission alors qu’une procédure est en cours pour déterminer si, oui ou non, il y a bien eu inexécution contractuelle de la part des détenteurs des droits commerciaux.

Chapitre 4

Le procès porte sur la question de savoir si l’obligation d’« entreprendre tous les efforts raisonnables » pour assurer un plateau d’au moins 16 voitures a ou n’a pas été respectée. À l’audience, les représentants de la FOM mettent en avant le caractère « non absolu de cette obligation » qui n’impose pas d’entreprendre tous les efforts possibles pour viser sa réalisation, ce avec quoi les écuries majeures que sont Ferrari, McLaren, Red Bull (toujours en vente) et Mercedes semblent à des degrés divers d’accord.

Les représentants de Williams, Renault et Haas se rangent à l’avis de la FIA et mettent en avant l’argument selon lequel les « efforts raisonnables n’ont pas été produits », en s’appuyant sur le fait qu’aucune réunion officielle n’a eu lieu sur le sujet (la seule prévue ayant été repoussée à l’été). Il est établi qu’Ecclestone a rencontré à les équipes à ce sujet à plusieurs reprises. « Durant ces rencontres privées, M. Ecclestone n’a jamais affiché une volonté farouche de faire repasser la grille à 16 voitures, » indique l’avocat de Haas, ami de longue date d’Underwood. Ce dernier, lors de son témoignage, rappelle les déclarations de l’ancien président de la FOM sur les petites écuries – « difficile de garder un plateau dense quand le berger se mue en loup… » – et présente une lettre écrite par Bernie lui étant adressée personnellement.

Début 2018, ce dernier y écrit, que si le fonds d’aide n’était pas supprimé, il laisserait Sauber « se casser la gueule » sans intervenir. Finissant la lecture de la missive, Frankie assène : « Est-ce vraiment là un effort raisonnable pour tenter de garder une grille de 16 voitures ? » Devant tous ces éléments, le mardi 27 novembre 2018, le tribunal rejette la demande des détenteurs des droits commerciaux et confirme que le contrat est caduc. Sur le parvis du palais de justice, Frank Underwood passe à travers la nuée de journalistes, de caméras et de micros sans dire un mot. Arrivé à sa voiture, quelques secondes avant d’y monter, il s’arrête.

À nous : « La voilà, la route du pouvoir. »

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