Ayrton Senna : here comes the seum

Lewis Hamilton participera t-il au Championnat du monde 2021 ? A deux mois du début de la prochaine saison, de façon très inhabituelle pour un pilote de son calibre, l’Anglais n’a toujours pas paraphé de nouveau contrat avec Mercedes. Une situation qui n’est pas sans faire écho à celle de son idole Ayrton Senna à l’aube de la saison 1993.

Une saison 1992 à oublier

Été 1992, Ayrton Senna traine sa mine des mauvais jours dans le paddock. Le Champion du monde en titre vit très certainement la saison la plus frustrante de sa carrière. A l’issue du GP de Grande-Bretagne, alors que la cap de la mi-saison est dépassé, le Brésilien, qui vient de subir un troisième abandon consécutif, pointe seulement à la cinquième place du championnat, avec une seule victoire (à Monaco bien sûr) au compteur. Au volant de sa McLaren-Honda, il a marqué 4 fois moins de points que Nigel Mansell qui, avec sa Williams-Renault, écrase le championnat.

L’alliance McLaren-Honda a permis à Senna de remporter ses trois titres mondiaux mais apparaît désormais en fin de cycle. D’ailleurs, Honda est sur le point d’annoncer son retrait de la F1. Un coup dur pour Senna, qui a noué une relation très privilégiée avec le motoriste japonais depuis 1987.

Le Brésilien, dont le contrat avec McLaren arrive à échéance, se positionne ouvertement sur le marché des transferts. Les liens avec McLaren ne sont pas rompus et il discute avec Ron Dennis d’une éventuelle prolongation. Des contacts sont également pris du côté de chez Ferrari, en pleine restructuration. Mais le vrai objectif de Senna, c’est un volant chez Williams-Renault, l’écurie dominatrice du moment.

Tout le monde veut une Williams

Le problème est qu’il n’est évidemment pas le seul à lorgner du côté de l’écurie anglo-française. Déjà, il y a un pilote en place, Nigel Mansell. Le moustachu n’est pas un pilote aussi complet que Senna. Il n’en réalise pas moins une saison presque parfaite et le titre mondial lui tend les bras. A ses côtés, le vétéran Riccardo Patrese, peu à son avantage depuis le début de l’année, est annoncé sur le départ. Mais pour le remplacer, un homme a une longueur d’avance sur tout le monde : Alain Prost.

Le Français, suite à son éviction de la Scuderia Ferrari à la fin de la saison précédente, s’est accordé une année sabbatique, mais en acceptant de jouer les consultants de luxe pour TF1, il est présent dans le paddock quasiment chaque week-end. En fin politicien qu’il est, il en profite pour avancer ses pions depuis le début de l’année. Le fait que Renault et Elf soient des partenaires privilégiés de Williams est évidemment un avantage. Il y a la volonté, du côté du constructeur français, de renouer le fil d’une histoire qui s’était brusquement interrompue fin 1983.

Plus les semaines avancent, et plus la frustration de Senna monte. Il a beau clamer dans la presse qu’il est prêt à renoncer à son salaire pour piloter chez Williams, la tendance qui se dessine en vue de la saison 1993 est celle d’un duo Mansell-Prost.

A Monza, Senna croit entrevoir une ouverture chez Williams suite à la décision soudaine de Mansell de quitter la F1 en fin d’année. L’Anglais, désormais assuré du titre mondial, se sent humilié par la volonté de Williams de réduire son salaire, et claque la porte à l’issue d’une conférence de presse aux accents dramatiques. Frank Williams va t-il décider de reformer le fameux duo Prost-Senna qui a enflammé la F1 quelques saisons plus tôt ? Tous les amoureux de spectacle en rêvent mais la rumeur veut que Prost (qui n’a pas encore été officialisé) bénéficie d’un droit de veto sur le nom de son futur coéquipier, et qu’il n’a évidemment pas la moindre envie de revivre une cohabitation houleuse avec son meilleur ennemi.

Senna décide alors de jouer sur tous les registres. Tantôt séducteur, il prend son téléphone pour appeler Prost et lui promettre une cohabitation apaisée. Tantôt vengeur, il prend la presse à témoin pour traiter Prost de trouillard. Le Français ne se laisse pas impressionner. Quelques jours plus tard, il signe son contrat avec Williams et fait bien comprendre qu’il est hors de question pour lui d’accepter Senna à ses côtés.

La tentation de l’IndyCar ?

Dépité à l’idée de passer au moins une saison supplémentaire à subir le joug des Williams et ne pas pouvoir affronter Prost à armes égales, Senna étale sa rancœur dans les médias. Il évoque une éventuelle année sabbatique et ne cache pas non plus un possible intérêt pour l’IndyCar, discipline que Nigel Mansell s’apprête d’ailleurs à rejoindre.

En entendant ça, Bernie Ecclestone s’étrangle : l’idée que Mansell et Senna, les deux pilotes les plus spectaculaires de la planète, poursuivent leurs duels musclés dans un championnat rival à la notoriété grandissante, pendant que la F1 se contenterait d’une fade domination de Prost, lui est évidemment insupportable. En vain, le grand manitou de la F1 tente d’actionner tous les leviers possibles pour imposer Senna chez Williams, ou même pour inviter Renault à motoriser McLaren. Car le désarroi de Senna est aussi celui de McLaren, qui se retrouve sans moteur suite au départ de Honda. Une seule solution se dessine, celle du V8 Ford. Mais il s’agira d’un moteur payant, et d’une évolution inférieure à celle dont bénéficie Benetton, qui est depuis plusieurs saisons le partenaire officiel du motoriste américain.

Lorsqu’à l’issue du championnat, Ron Dennis invite Ayrton Senna à se rassoir à la table des négociations pour discuter de l’année suivante, il n’a donc rien d’autre à lui proposer qu’un projet sportif peu ambitieux et, restriction budgétaire oblige, un salaire diminué de moitié.

C’est dans ce contexte qu’au mois de décembre, Ayrton Senna accepte, à l’invitation de son compatriote Emerson Fittipaldi, d’effectuer un test au volant d’une Penske d’IndyCar sur le petit circuit routier de Phoenix. Officiellement, Senna se montre ravi de son test et se plait à dire à quel point il a été heureux de piloter une monoplace « à l’ancienne », sans artifice électronique, faisant la part belle à l’humain. Ce discours très politique et peu sincère vise surtout les instances de la F1, dont il aimerait qu’elles coupent les ailes des Williams, très en avance sur la concurrence dans le domaine des aides électroniques. A ses proches, le Brésilien confie avoir eu en réalité peu de plaisir à piloter la Penske, monoplace puissante mais pataude, loin de la vivacité des F1. Si l’idée de rejoindre l’IndyCar a pu un temps l’effleurer, le test de Phoenix a surtout pour effet de le convaincre que son avenir se trouve encore en F1.

Senna absent de la reprise du championnat ?

Comme à son habitude, Senna passe de longues vacances au Brésil pour se ressourcer, et se tient éloigné des essais hivernaux. Cela n’empêche pas les négociations avec McLaren de se poursuivre à distance. La reprise de la saison approchant, l’écurie de Woking doit malgré tout se préparer à l’éventualité de perdre sa star. Aux côtés de l’Américain Michael Andretti, transfuge de l’IndyCar, et plus ou moins imposé par Ford, Ron Dennis a donc recruté le grand espoir finlandais Mika Häkkinen, qui sort de deux saisons prometteuses chez Lotus.

Début mars, à moins de deux semaines de l’ouverture de la saison 1993 en Afrique du Sud, l’avenir de Senna reste un mystère. Dans les traditionnels guides d’avant-saison édités par les magazines spécialisés, les rédacteurs ne savent pas sur quel pied danser. Officiellement, c’est bien le duo Andretti-Hakkinen qui doit débuter la saison chez McLaren, mais certaines publications annoncent quand même la présence de Senna comme probable, et cela même s’il n’a signé aucun contrat.

Les 3 et 4 mars, juste avant d’embarquer pour l’Afrique du Sud, McLaren organise un test pour Senna à Silverstone. Malgré un roulage limité, le Brésilien est agréablement surpris par le comportement de la nouvelle MP4/8. Comme il pouvait le craindre, elle est un peu sous-motorisée, mais le châssis apparaît plutôt réussi. Et surtout, elle est dotée d’une électronique très sophistiquée qui semble montrer que McLaren a rattrapé une grande partie de son retard sur Williams dans le domaine des aides au pilotage.

Senna retrouve l’appétit. Il prend l’avion pour l’Afrique du Sud où il termine 2e du GP, non sans avoir livré une féroce bataille avec Alain Prost et Michael Schumacher.

L’Homme qui valait 1 million de dollars par week-end

Fin de l’histoire ? Pas encore. Senna a roulé à Kyalami, mais n’a toujours pas signé de contrat avec McLaren pour la saison 1993. C’est sur la base d’un contrat portant sur une seule course qu’il était présent en Afrique du Sud. Malgré sa belle prestation, le Brésilien est mécontent. Être battu par son éternel rival Alain Prost est déjà compliqué à encaisser. Il apprécie encore moins d’être mis en difficulté par le jeune Michael Schumacher dont la Benetton est également équipée d’un V8 Ford, mais plus évolué, situation qui est pour lui inacceptable.

Ayrton Senna refuse de signer un contrat à l’année avec McLaren tant que Ron Dennis n’a pas obtenu de Ford un traitement égalitaire avec Benetton. Au passage, il en profite pour négocier un salaire « course par course » très avantageux. On parle de près d’un million de dollars par week-end.

Avant chaque grand prix, la même histoire, la même question : Senna sera-t-il là ?  Ses deux victoires magistrales à Interlagos puis à Donington, qui lui permettent de prendre la tête du championnat, n’y changent rien. Avant le Grand Prix de Saint-Marin, la situation semble même plus tendue que jamais à tel point que le jeudi soir,  il est encore chez lui à Sao Paulo. Pris à la gorge, Ron Dennis n’a pas d’autre choix que de céder aux exigences financières de sa star, qui saute dans le premier avion et n’arrive sur le circuit d’Imola que le vendredi matin, à quelques minutes seulement du début des premiers essais.

Si la situation est difficilement tenable pour Ron Dennis, elle rend également fou de rage Bernie Ecclestone, obligé d’expliquer aux organisateurs de Grands Prix et aux chaines de télévision qu’il ne sait pas si Senna sera là à la prochaine course. 

A l’issue du cinquième GP de la saison, à Barcelone, Senna reçoit de Ford l’assurance d’un traitement équitable avec Benetton à partir de la mi-saison, et il accepte enfin de signer un contrat jusqu’à la fin de l’année.

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